Page:Cicéron - Œuvres complètes - Panckoucke 1830, t.8.djvu/55

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neur, influens ! tant de Siciliens, tant de chevaliers romains, vexés par le plus vil et le plus méprisable des hommes, n’osaient réclamer la restitution de huit fois la valeur, lorsqu’il avait publiquement encouru cette peine ! Quelle en est la cause ? quel en est le motif ? Il n’en est qu’un seul, juges, et vous le devinez : ils se voyaient d’avance joués, moqués à l’envi, et déboutés par le tribunal. Quel tribunal en effet que celui où, tirés de l’infâme et crapuleux cortège de Verrès, on aurait vu siéger, sous le titre de commissaires, trois des acolytes du préteur, lesquels lui avaient été donnés, non par son père, mais sur la recommandation d’une misérable courtisane ? Un cultivateur aurait eu bonne grâce à plaider, à se plaindre qu’Apronius ne lui avait point laissé de grains, qu’il avait pillé ses propriétés, qu’il l’avait chassé et même frappé ! Nos honnêtes gens se seraient mis à délibérer sur la cause, mais c’aurait été pour s’entretenir d’une partie de débauche et des femmes qu’au sortir des bras du préteur ils pourraient avoir. Il y aurait eu comme une plaidoirie. On aurait vu se lever Apronius, publicain fier de sa nouvelle dignité, et non point décimateur malpropre, couvert de poussière, mais parfumé d’essences, et encore appesanti par le vin et par la débauche de la nuit. Au premier mouvement qu’il eût fait, au premier souffle qu’il eût exhalé, une odeur de vin, d’essences, et la puanteur de son corps, auraient rempli toute la salle. Il eût répété ce qu’il disait toujours, qu’il ne s’était pas fait adjuger les dîmes, mais les biens et les revenus des laboureurs ; qu’il n’était point le décimateur Apronius, mais un autre Verrès, leur maître et leur souverain. A peine aurait-il parlé, les honnêtes juges de la troupe du préteur n’auraient pas même mis en déli-