Page:Cicéron - Œuvres complètes - Panckoucke 1830, t.9.djvu/21

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dangers de la guerre, les malheurs de la république, la disette de généraux, voilà ce qu’il va faire valoir. Ensuite il vous conjurera, que dis-je ? fier de ce moyen (1), il vous commandera de ne pas souffrir que, sur la déposition des Siciliens, un si grand capitaine soit enlevé au peuple romain ; il vous défendra de laisser flétrir par des imputations d’avarice la gloire acquise par les armes.

Je ne puis le dissimuler, juges ; je crains que Verrès, à la faveur de ses rares talens militaires, n’obtienne l’impunité de tous ses méfaits ; car je me rappelle combien, dans la cause de Man. Aquillius, fut puissante et victorieuse l’éloquence de Marc-Antoine (2). Cet orateur, aussi adroit que pathétique, arrivé à la fin de son plaidoyer, saisit Aquillius, et, le plaçant sous les yeux de l’assemblée, déchira la tunique dont sa poitrine était couverte, pour que le peuple romain et les juges contemplassent ses nobles cicatrices ; mais ce fut surtout en montrant une blessure que ce guerrier avait reçue à la tête, du chef même des rebelles, qu’il déploya toute son éloquence. Enfin il sut émouvoir les juges au point de leur faire craindre qu’un homme que la fortune avait arraché tant de fois au glaive des ennemis, bien qu’il fût si prodigue de sa vie, ne parût avoir échappé à tant de dangers que pour servir de victime à la cruauté des tribunaux, et non pour la gloire du peuple romain. C’est le même plan, le même moyen de défense qu’on prépare aujourd’hui ; c’est au même succès que l’on prétend. Que Verrès soit un voleur, un sacrilège ; qu’il soit le plus infâme, le plus scélérat des hommes ; on vous l’accorde : mais c’est un général habile, heureux ; et l’on doit, à ce titre, le conserver pour les dangers de la république.