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Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/102

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CICÉRON

clumes. Vous nous mettez ainsi sur la tête un maître éternel, dont nous devrions jour et nuit avoir peur. Car le moyen de ne pas craindre un Dieu qui prévoit tout, qui pense à tout, qui remarque tout, qui croit que tout le regarde, qui veut se mêler de tout, qui n’est jamais sans affaire ? De là votre destin. Peut-on estimer une philosophie qui nous dit comme les vieilles, et ajoutons comme les vieilles ignorantes, que tout ce qui nous arrive dans la vie, c’est parce que l’éternelle vérité l’a décidé, et que tel est l’enchaînement des choses ? De là encore votre divination. À vous en croire, nous deviendrions superstitieux jusqu’à révérer les aruspices, les augures, les devins, et autres gens semblables. Pour nous, exempts de toutes ces terreurs, et mis en liberté par Épicure, nous ne craignons point les Dieux, parce que nous savons qu’ils évitent toute occasion de chagrin, et ne cherchent à inquiéter personne. Du reste, nous les honorons pieusement et saintement, comme des êtres parfaits. Mais je crains que mon goût pour ma secte ne m’ait porté trop loin. Il était difficile, je l’avoue, de m’embarquer dans une si grande et si belle question, pour ne la traiter qu’à demi. J’aurais cependant mieux fait de songer à écouter, que de parler si longtemps.

XXI. Ici Cotta, prenant la parole, répondit avec cette politesse qui lui était ordinaire : Vous n’auriez, Velléius, rien pu tirer de moi, si vous n’aviez parlé le premier. Car j’ai fait souvent cette remarque, et je viens encore de la faire en vous écoutant, qu’il ne m’est pas si aisé de trouver les raisons qui établissent le vrai, que celles qui combattent le faux. Demandez-moi positivement ma pensée sur la nature des Dieux, peut-être vous laisserai-je sans réponse. Que vous me demandiez, au contraire, si je me rencontre là-dessus avec vous, mon parti sera pris à l’instant pour la négative. Mais avant que d’en venir à l’examen de vos propositions, il faut vous dire l’idée que j’ai de vous. Votre ami Crassus m’avait dit souvent que, parmi les sectateurs d’Épicure, vous méritiez d’être préféré à tous les Romains, et qu’il y avait même peu de Grecs qui vous fussent comparables. À vous parler franchement, je craignais que l’amitié n’eut un peu trop de part à cet éloge. Mais si j’ose moi-même vous louer en face, je vous dirai que, malgré la difficulté et l’obscurité du sujet, le discours que je viens d’entendre m’a paru clair, profond, et d’une élégance qui n’est pas commune dans votre secte. Quand j’étais à Athènes, j’entendais souvent Zénon, que Philon appelait le coryphée des Épicuriens ; et je l’entendais par l’ordre de Philon lui-même, qui apparemment m’obligeait de puiser vos opinions à la source, pour me convaincre par là qu’en les réfutant on ne les déguisait point. Quoi qu’il en soit, Zénon avait cela de particulier, qu’il s’expliquait comme vous avec méthode, avec force, avec élégance. Mais ne vous offensez pas de cet aveu : ses discours faisaient sur moi une impression que le vôtre a renouvelée ; j’en sortais avec le chagrin de voir qu’un si bel esprit se fût livré à des opinions si vaines, pour ne pas dire si absurdes. Je ne me flatte pas cependant d’avoir trouvé rien de meilleur. Aussi vous ai-je dit qu’il m’était plus aisé de nier que d’affirmer ;