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Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/139

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DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. II.

dans un tel ordre, qu’ils formeraient lisiblement les annales d’Ennius ? Je doute si le hasard rencontrerait assez juste pour en faire un seul vers. Mais ces gens-là comment assurent-ils que des corpuscules qui n’ont point de couleur, point de qualité, point de sentiment, qui ne font que voltiger au gré du hasard, ont fait ce monde-ci : ou plutôt en font à tout moment d’innombrables, qui en remplacent d’autres ? Quoi, si le concours des atomes peut faire un monde, ne pourrait-il pas faire des choses bien plus aisées, un portique, un temple, une maison, une ville ? Je crois, en vérité, que des gens qui parlent si peu sensément de ce monde n’ont jamais ouvert les yeux pour contempler les magnificences célestes dont je traiterai dans un moment. Aristote dit très-bien : « Supposons des hommes qui eussent toujours habité sous terre dans de belles et grandes maisons, ornées de statues et de tableaux, fournies de tout ce qui abonde chez ceux que l’on croit heureux : supposons que, sans être jamais sortis de là, ils eussent pourtant entendu parler des Dieux ; et que tout d’un coup, la terre venant à s’ouvrir, ils quittassent leur séjour ténébreux pour venir demeurer avec nous. Que penseraient-ils en découvrant la terre, les mers, le ciel ? en considérant l’étendue des nuées, la violence des vents ? en jetant les yeux sur le soleil ? en observant sa grandeur, sa beauté, l’effusion de sa lumière, qui éclaire tout ? Et quand la nuit aurait obscurci la terre, que diraient-ils en contemplant le ciel tout parsemé d’astres différents ? en remarquant les variétés surprenantes de la lune, son croissant, son décours ? en observant enfin le lever et le coucher de tous ces astres, et la régularité inviolable de leurs mouvements ? Pourraient-ils douter qu’il n’y eût en effet des Dieux, et que ce ne fût là leur ouvrage ? »

XXXVIII. Ainsi parle Aristote. Figurons-nous pareillement d’épaisses ténèbres, semblables à celles dont le mont Etna, par l’éruption de ses flammes, couvrit tellement ses environs, que l’on fut deux jours, dit-on, sans pouvoir se connaître ; et que le troisième jour, le soleil ayant reparu, on se croyait ressuscité. Figurons-nous, dis-je, qu’au sortir d’une éternelle nuit, il nous arrive de voir la lumière pour la première fois : quelle impression ferait sur nous la vue du ciel ? Mais parce que nous le voyons journellement, nos esprits n’en sont plus frappés, et ne s’embarrassent point de rechercher les principes de ce que nous avons toujours devant les yeux. Comme si c’était la nouveauté, plutôt que la grandeur des choses, qui dût exciter notre curiosité. Est-ce donc être homme, que d’attribuer, non à une cause intelligente, mais au hasard, les mouvements du ciel si certains, le cours des astres si régulier, toutes choses si bien liées ensemble, si bien proportionnées, et conduites avec tant de raison, que notre raison s’y perd elle-même ? Quand nous voyons des machines qui se meuvent artificiellement, une sphère, une horloge, et autres semblables, nous ne doutons pas que l’esprit n’ait eu part à ce travail. Doute-