Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/14

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
4
CICÉRON.

conséquent appeler ceux qui sont dans un état contraire, insensés (insanos). C’est pourquoi je trouve excellente cette locution de notre langue, par laquelle nous disons qu’un homme ne S’appartient plus, qui est emporté hors des gonds par un désir immodéré, ou par la colère ; quoique la colère soit une espèce particulière de désir immodéré ; car on définit la colère, le désir immodéré de la vengeance. Pourquoi dit-on alors que l’homme ne s’appartient plus ? parce qu’il a c( ssé d’appartenir à sa raison, qui, au nom même de la nature, doit régner sur l’âme entière. Les Grecs appellent la folie μανία (mania) ; je ne sais trop pour quelle raison, ni d’où vient le mot : mais ce qui est certain, c’est que nous distinguons mieux qu’eux les diverses sortes de folie. Il y a une folie qui n’est (pic l’absence de la sagesse, et qui end fort loin ; nous faisons entre, elle et la fureur une grande différence : les Grecs aussi veulent établir cette différence, mais ils l’expriment mal ; ils nomment μελαγχολίαν (melagchonian) ce que nous appelons fureur. Comme si l’esprit n’était emporté que par les noirs flots de la bile, et non pas le plus souvent par la colère, la crainte, la douleur ; témoin Athamante, Aïcméon, Ajax, Oreste. Le furieux est interdit par les Douze Tables. Elles » nt pas : s’il est insensé, mais s’il est furieux. Nos pères pensaient que celui qui n’a pas la sagesse, dont l’âme est troublée, et par conséquent atteinte de quelque maladie, peut cependant remplir les devoirs ordinaires, et vaquer aux affaires communes de la vie ; mais ils étaient convaincus que la fureur ôte absolument toute lumière à l’esprit. Quoiqu’il semble beaucoup plus grave d’être furieux que d’être insensé, il n’en est pas moins vrai que le premier malheur peut arriver au sage, et jamais le second. Mais c’est un point qui n’est pas maintenant en question, revenons à celui qui nous occupe.

VI. Vous avez dit, je crois, que l’âme du sage est susceptible de chagrin. L’a. C’est en effet ce que je pense. C. .l’avoue qu’il est naturel de penser ainsi, car l’homme n’est pas né d’un rocher : il y a dans son cœur je ne sais quoi de tendre et de sensible, qui est sujet à être ému par l’affliction, comme par un espèce d’orage. C’est ce qui justifiait en quelque sorte Crantor, l’un de nos plus illustres Académiciens, lorsqu’il disait : « Je ne puis goûter l’avis de ceux qui vantent si fort cette sorte d’insensibilité, qui ne peut, ni ne doit être dans l’homme. Tâchons de n’être point malades. Mais si nous le sommes jamais, soit qu’on nous coupe, soit qu’on nous arrache quelque membre, ne soyons point insensibles. Car que gagne-t-on, en s’opiniâtrant à ne se point plaindre, si ce n’est de faire dire, qu’on a l’esprit féroce, ou le corps en létargie ? » Voyons pourtant si ce discours n’est point d’un homme qui veut flatter notre faiblesse, et favoriser notre lâcheté. Osons ne pas couper seulement les branches de nos misères, mais en extirper jusqu’aux fibres les plus déliées. Encore nous en restera-t-il quelques-unes ; tant les racines de la folie sont en nous profondes et cachées. Mais n’en conservons que ce qu’il n’est pas possible de supprimer ; et mettons-nous bien dans l’esprit, que sans la santé de l’âme nous ne pouvons être heureux. C’est par la philosophie seule qu’on peut y parvenir. Continuons donc à nous instruire des remèdes qu’elle nous offre. Si nous le voulons, elle nous guérira. J’irai même plus loin que vous ne comptez ; car j’attaquerai

tra affecti sunt, hos insanos appellari necesse est. Itaque nihil melius, quam quod est in consuetudine sermonis Latini, corn exi i i potestate dicimus eos, qui effrenati fêruntoi aol libidine, aut iracundia. Qnanquam ipsa iracoodia libidinis est pars : sic enim definitur iracundia, Ulciscendi l<i<i(h>. Qai igitur exisse ex poteslate dicuntui, ulcirco dicuntnr, quia non sont in potestale menant lotins animi a natura triliutum est. Grœci i μανία (mania) unde appellent, non facile dixerim. Eam en ipsam distinguimus nosraelins, quam illi. Hanc enirn insaniam, quae jtmeta >t ullit i ;ipatet latins, a furore disjongûiius. Græci volunt illi quidem, sed parum valent verbo : quem nos furorem, μελαγχολίαν (melagchonian) illi Vocant : quasi . atia bili Bolum mens, ae non saepe rel iraenndia ^raviure, vei timoré, mI dolore moveatur : quo génère Alharaantem, Aknueooem, Ajacem, Orestem furere dicimus. : ita sit affectas, eurn dominum esse rerum suanun tant duodeeim tabula’. Itaque non est scriplurn, Si mnus, ied, .Si furiosus esse incipit. Insaniam enim -iifrunt kl e-l,ififori-taritiarn sanitate varanlem posse in tueri mediocrilalem officiorum, et dtae rommunem cultnm, alqne nsitatom : fororem aotem escerati sont, . L ;d omnia caeritatem. Quod com inajus esse vidoatur, quam insania : lamen ejnsmodi est, nt furor in sapientem cadere possit, non possil insania. Sed Iia3c atia q uaestio est : nos ad propositum revertamur.

VI. Cadere, opinor, in sapienlem aegritudinem titii dixisti videri. A. Et vero ita exislimo. M. Humanum id quidem, quod ita existimas : non enim silice nati sumns : sed est naturale in animis tenerum quiddam, at(|ue molle, quod xgritudine, quasi tempestate, quatiatur. Nec absurde Crantor ille, qui in nostra Academia i 1 in primis fuit nobilis : » Minime, inquit, assentior iis, qui islam neseio quam indolentiam mai’nopere laudant : quae nec potest nlla esse, nec débet. Se aegrolns sim, inquit : sed si fuerim, sensus adsit, sive seceturquid, sive avellatur a corpoie. Nam istuc nibii dolere non sine magna mercede conlingit, immanilatU inanimo, stuporis in corpore. » Sed videamus, ne haec oratiosit hominum assenlientium nostraimbecilliLili, et indulgentiumniollitudini. Nos autem andeamus non solnni ramos amputare miseriarum, sed omnes radicum nbras evellere. I amen aliquid relinquetur fortasse : ita sunt altae stirpes stultitiae ; sed relinquetur idsolum, quod erit necessarium. II-I ad quidem sic habeto, nisi sanatusanimus sit, quod sine philosophia lieri non potest, finem miseriarum nullum