Aller au contenu

Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/150

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
140
CICÉRON.

Elle les a faits glissants et mobiles, pour leur donner le moyen d’éviter ce qui pourrait les offenser, et de porter aisément leurs regards où ils veulent. La prunelle, où se réunit ce qui fait la force de la vision, est si petite, qu’elle se dérobe sans peine à ce qui serait capable de lui faire mal. Les paupières, qui sont les couvertures des yeux, ont une surface polie et douce, pour ne point les blesser. Soit que la peur de quelque accident oblige à les fermer, soit qu’on veuille les ouvrir, les paupières sont faites pour s’y prêter, et l’un ou l’autre de ces mouvements ne leur coûte qu’un instant. Elles sont, pour ainsi dire, fortifiées d’une palissade de poils, qui leur sert à repousser ce qui viendrait attaquer les yeux, quand ils sont ouverts ; et à les envelopper, afin qu’ils reposent paisiblement quand le sommeil les ferme, et nous les rend inutiles. Nos yeux ont, de plus, l’avantage d’être cachés, et défendus par des éminences. Car d’un côté, pour arrêter la sueur qui coule de la tête et du front, ils ont le haut des sourcils ; et de l’autre, pour se garantir par le bas, ils ont les joues, qui avancent un peu. Le nez est placé entre les deux, comme un mur de séparation. Quant à l’ouïe, elle demeure toujours ouverte, parce que nous en avons toujours besoin, même en dormant. Si quelque son la frappe alors, nous en sommes réveillés. Elle a des conduits tortueux, de peur que, s’ils étaient droits et unis, quelque chose ne s’y plissât. La nature a eu même la précaution d’y former une humeur visqueuse, afin que si de petites bêtes tâchaient de s’y jeter, elles y fussent prises comme à de la glu. Les oreilles (par ce mot on entend la partie qui déborde ; ont été faites pour mettre l’ouïe à couvert, et pour empêcher que les sons ne se dissipent et ne se perdent, avant que de la frapper. Elles ont l’entrée dure comme de la corne, et sont d’une figure sinueuse, parce que des corps de cette sorte renvoient le son, et le rendent plus fort. Aussi voyons-nous que ce qui fait résonner les lyres est d’écaille ou de corne ; et que la voix retentit mieux dans les endroits renfermés, où il y a plusieurs détours. Les narines, à cause du besoin continuel que nous en avons, ne sont jamais bouchées. Elles ont l’entrée fort étroite, de peur qu’il ne s’y glisse quelque chose de nuisible ; et il y a toujours une humidité qui sert a empêcher qu’il n’y séjourne de la poussière, ou d’autres corps étrangers. Le goût ayant la bouche pour clôture, c’est précisément ce qu’il lui fallait, et par rapport à l’usage que nous en faisons, et par rapport à sa propre conservation.

LVIII. Tous nos sens, au reste, sont bien plus exquis que ceux de la bête. Car nos yeux découvrent ce qui lui échappe, dans les arts dont ils sont juges, dans la peinture, dans la sculpture, dans le geste même, dans tous les mouvements du corps. Ils connaissent la beauté, la justesse, les proportions des couleurs et des figures. Que dis-je ? Ils démêlent même les vices et les vertus ; si l’on est irrité, ou favorablement disposé ; joyeux ou triste ; brave ou lâche ; hardi ou timide. Le jugement de l’oreille n’est pas moins admirable pour ce qui regarde le chant et les instruments. Elle distingue les tons, les mesures, les pauses, les diverses sortes de voix, les claires, les sourdes, les douces, les aigres, les basses, les hautes, les flexibles, les rudes ; et il n’y a que l’oreille