Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/155

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
145
DE LA NATURE DES DIEUX, LIV. III.

endroit que ce soit, hors de notre continent ; ils prennent soin aussi de ceux qui habitent la même terre que nous, du levant jusqu’au couchant. Et s’ils veillent sur ceux qui habitent cette espèce de grande île que nous appelons le globe de la terre, pareillement ils veillent sur ceux qui occupent les parties de cette île, l’Europe, l’Asie, l’Afrique. Ils chérissent donc les parties de ces parties, comme Rome, Athènes, Sparte, Rhodes ; et ils chérissent les particuliers de ces villes, séparés de la totalité. Dans la guerre de Pyrrhus, ils marquèrent un amour singulier à Curius, à Fabricius, à Coruncanius : dans la première guerre punique, à Calatinus, à Duillius, à Métellus, à Lutatius : dans la seconde, à Fabius, à Marcellus, à l’Africain : ensuite, à Paul-Émile, à Gracchus, à Caton ; et du temps de nos pères, à Scipion, à Lélius. Combien Rome et la Grèce ont-elles porté d’autres grands hommes, dont il est croyable que pas un n’a été tel sans l’aide d’un Dieu ? Ce qui fait que les poètes, Homère surtout, ne manquent point d’associer à leurs principaux héros, comme Ulysse, Diomède, Agamemnon, Achille, de certains Dieux, qui sont les compagnons de leurs aventures et de leurs dangers. On voit aussi par les fréquentes apparitions des Dieux, telles que j’en ai raconté ci-dessus, qu’ils étendent leur providence, et sur les villes, et sur les particuliers. On le voit par les pressentiments qui nous viennent de leur part, ou en songe, ou quand nous veillons ; outre que l’avenir se manifeste souvent à nous par les entrailles des victimes, par les présages, et de plusieurs autres manières, qui ont été longtemps observées avec tant d’exactitude, qu’il s’en est fait un art de deviner. Jamais grand homme ne fut sans quelque inspiration divine. Si l’orage gâte les blés ou les vignes de quelque particulier, ou qu’un accident lui ôte de ses commodités, il ne faut pas dire pour cela qu’un Dieu le haïsse, ou le néglige. Les Dieux prennent soin des grandes choses, ils ne s’embarrassent pas des petites. D’ailleurs, tout prospère toujours aux grands hommes : et nos Stoïciens, après Socrate, le prince des philosophes, ont assez parlé des avantages et des ressources infinies qui se trouvent dans la vertu.

LXVII. Voilà, à peu près, ce qui se présentait à mon esprit sur la nature des Dieux, et ce que j’en ai cru devoir avancer. Pour vous, Cotta, si vous me croyez, défendez la même cause. Souvenez-vous que vous tenez dans Rome le premier rang, et que vous êtes pontife. Le pour et le contre étant à votre choix dans la dispute, préférez mon parti, et le faites valoir avec l’éloquence que vous avez puisée dans les exercices de la rhétorique, et fortifiée par ceux de l’Académie. Car il est mal de parler contre les Dieux, et c’est une impiété, soit qu’on pense ce qu’on dit, soit qu’on ne fasse que semblant.


LIVRE TROISIÈME.

I. Quand Balbus eut fini son discours : C’est un peu tard, lui dit Cotta en souriant, que vous m’ordonnez de prendre le parti des Stoïciens. À mesure que vous parliez, je cherchais dans mon esprit quelles objections je pourrais vous faire, non pas tant pour vous réfuter, que pour vous engager à m’expliquer ce qui m’arrêtait. Comme