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Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/193

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DE LA DIVINATION, LIV. I.

sulter, soit aussi pour interpréter les prodiges et en conjurer l’effet, on emprunta à l’Étrurie toute sa science augurale, afin qu’aucun genre de divination ne parût avoir été négligé. Et enfin comme les esprits peuvent d’eux-mêmes, par un mouvement libre et absolu, sans le secours de la raison ou de la science, être agités de deux manières, ou en songe, ou par une fureur divine, l’opinion que cette sorte d’inspiration furieuse avait dicté les vers Sibyllins fit que l’on choisit, parmi les citoyens, dix interprètes de ces poëmes. Par la même raison ou eut souvent égard aux prédictions des devins furieux, tels que Cornélius Culléolus, dans le temps de la guerre Octavienne. Le conseil suprême ne négligea même pas les songes extraordinaires lorsqu’ils semblaient se rattacher aux affaires publiques. N’avons-nous pas vu de notre temps Lucius Julius, consul avec P. Rutilius, chargé de rebâtir le temple de Junon Tutélaire, par un décret du sénat rendu à l’occasion d’un songe de Cécilia, fille de Métellus Baléaricus ?

III. Mais je pense que les anciens adoptèrent ces pratiques plutôt guidés par les faits que conduits par le raisonnement. Quant aux philosophes, on a recueilli d’eux quelques arguments d’une force toute particulière, et qui nous démontrent que bien réellement il existe une divination. Seul, et parmi les plus anciens, Xénophane de Dolophon, tout en affirmant l’existence des Dieux, attaque la divination dans ses fondements. Tous les autres, excepté Épicure qui ne fait que balbutier en parlant de la nature des Dieux, ont admis la divination, mais non de la même manière. Socrate et tous ses disciples, Zénon et tous ses sectateurs, d’accord en cela avec l’ancienne Académie et les Péripatéticiens, adoptent le sentiment des anciens philosophes, sentiment auquel Pythagore, qui voulait lui-même passer pour augure, avait déjà donné une grande autorité. Démocrite, auteur si grave, reconnaît en plusieurs endroits que l’on peut prédire l’avenir ; mais Dicéarque le péripatéticien, attaquant tous les genres de divination, ne veut ajouter foi qu’aux songes et à la fureur ; et après lui, Cratippe, mon ami, et dans mon opinion l’égal des Péripatéticiens les plus fameux, n’admet que ces deux derniers modes de divination, et rejette, à l’exemple de Dicéarque, tous les autres. Mais comme les Stoïciens les approuvaient presque tous, conformément à cette doctrine, dont on peut dire que le germe développé par Cléanthe avait été déposé par Zénon dans ses commentaires, survint un homme d’un esprit très-ingénieux, Chrysippe, qui traita fort au long de la divination dans deux livres, et composa deux autres traités sur les oracles et sur les songes. Après lui, son élève Diogène le Babylonien publia un livre sur ce sujet ; Antipater, deux, et notre ami Posidonius, cinq. Mais le prince de sa secte, le maître de Posidonius, le disciple d’Antipater, Panétius enfin, s’écarta de la doctrine des Stoïciens, bien qu’il n’ait exprimé que des doutes, sans oser nier décidément qu’il n’y eût point de divination. Or, ce qu’un Stoïcien s’est permis en un point, malgré ses amis, nous sera-t-il défendu par ces mêmes Stoïciens en tout le reste, surtout lorsque cette question, obscure pour Panétius, leur paraît à tous plus claire que la lumière du soleil ? Quoi qu’il en soit, c’est un grand honneur pour l’Académie d’avoir en sa faveur le jugement et le témoignage de ce philosophe éminent.