Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/274

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et ce n’est pas pour le décrier qu’ils en parlent, mais plutôt pour le louer ; car ils ajoutent qu’il avait tellement dompté et subjugué cette nature vicieuse par la force de la discipline, que jamais homme au monde ne le surprit dans l’ivresse ou agité de mauvaises passions. Bien mieux, ne savons-nous pas le jugement que porta un jour de Socrate le physionomiste Zopyre, qui faisait profession de connaître le tempérament et le caractère des hommes à la seule inspection du corps, des yeux, du visage, du front ? Il déclara que Socrate était un sot et un niais, parce qu’il n’avait pas la gorge concave, parce que tous ses organes étaient fermés et bouchés ; il ajouta même que Socrate était adonné aux femmes ; ce qui, nous dit-on, fit rire Alcibiade aux éclats. Les dispositions vicieuses peuvent être produites par des causes naturelles ; mais les détruire et les déraciner complètement, à ce point que l’âme où elles régnaient d’abord en soit à jamais affranchie, ce n’est pas là le fait de la nature, mais l’œuvre de la volonté, de l’énergie, d’une constante discipline, toutes choses qui sont anéanties, si l’on parvient à établir l’empire du destin sur le fondement de la divination.

[6] VI. Si vous admettez une divination, il faut nous dire sur quelles observations certaines elle repose ; j’appelle observations certaines ce que les Grecs nomment théorèmes. Je ne croirai jamais que sans leur secours il soit possible d’exercer aucun art, et en particulier l’art de prédire l’avenir. Les astrologues ont donc certaines règles que l’expérience leur a fournies, celle-ci, par exemple : « Celui qui est né au lever de la Canicule ne mourra pas dans la mer. » Prenez bien garde, Chrysippe, de trahir vous-même votre propre cause, que vous avez à soutenir contre les rudes attaques de Diodore, un vigoureux dialecticien. Si l’on doit tenir pour vraie cette proposition générale : « Celui qui est né au lever de la Canicule ne mourra pas dans la mer, » il faudra conséquemment reconnaître la vérité de celle-ci : « Si Fabius est né au lever de la Canicule, Fabius ne mourra pas dans la mer. » Conséquemment encore, il impliquerait contradiction de dire : « Fabius est né au lever de la Canicule, et Fabius mourra dans la mer ; » et comme on suppose comme certain que Fabius est né au lever de la Canicule, il impliquerait aussi contradiction de dire : « Fabius existe, et Fabius mourra dans la mer. » Cette dernière énonciation : « que Fabius existe, et qu’il mourra dans la mer ; » renferme donc à la fois une contradiction et une impossibilité. Donc lorsque vous dites : « Fabius mourra dans la mer, » vous parlez d’une chose qui est impossible. Donc enfin, tout ce que l’on dit de l’avenir, contrairement à la vérité, est impossible.

[7] II. Mais c’est là, Chrysippe, une conséquence que vous n’acceptez nullement, et c’est sur ce point que Diodore vous livre le plus terrible combat. Selon lui, il n’y a de possible que ce qui est vrai actuellement, ou sera vrai un jour ; et il soutient que tout ce qui doit être sera nécessairement, et que tout ce qui ne doit pas être, est impossible. Vous prétendez, vous, que ce qui ne doit pas être est cependant possible ; qu’il est possible, par exemple, de briser ce joyau, quoique pourtant on ne doive jamais le rompre ; et vous tenez qu’il n’était point nécessaire que Cypsélus régnât à Corinthe, quoique depuis mille ans l’oracle d’Apollon eût prédit son règne. Mais si vous ajoutez une foi entière à ces prédictions divines, vous serez contraint d’avouer que tout ce que l’on dit de l’avenir, contrairement à la vérité,