Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/276

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n'arrivera rien qui ne soit nécessaire, et que tout ce qui est possible est actuellement réel, ou le sera un jour; ce qui implique que l'on ne peut pas plus changer ce qui doit être que ce qui a été. Toute la différence, c'est que l'on voit clairement que le passé est immuable; tandis que l'on ne croit pas toujours qu'il en soit de même de l'avenir, qui parfois se dérobe. Lorsqu'on voit un homme atteint d'une maladie mortelle, on reconnaît que véritablement il mourra de cette maladie; mais si un médecin nous en disait autant d'un malade moins gravement attaqué, et qu'il dît vrai, la mort n'en arriverait pas moins certainement. Il est donc clair que l'on ne peut rien changer à l'avenir, et que les faits y sont immuablement marqués. Quand je dis : «Scipion mourra, » j'affirme une chose qui, bien que future, ne peut en aucune sorte n'être pas vraie; car je parle d'un homme qui nécessairement doit mourir. Si l'on avait ajouté : «Scipion mourra de nuit dans son lit, de mort violente, » on aurait dit vrai, car on aurait affirmé une chose qui devait être; et la preuve qu'elle devait être, c'est qu'effectivement elle est arrivée. Cette proposition : «Scipion mourra, » n'était pas plus vraie que celle-ci : «Il mourra de telle mort; » Scipion devait nécessairement mourir, mais tout aussi nécessairement il devait mourir de telle façon; et cet événement futur : «Scipion sera tué,» n'était pas plus douteux que ne l'est aujourd'hui ce fait accompli : « Scipion a été tué.» Cela étant, il n'y a plus de raison pour qu'Épicure redoute le Destin, demande à ses atomes d'en affranchir le monde, leur prête un mouvement de déclinaison, et s'engage en même temps en deux difficultés inextricables : l'une de supposer des faits qui n'ont point de cause, ce qui va directement contre ce principe . «Rien ne se fait de rien,» principe défendu par tous les physiciens et par Epicure lui-même; la seconde, d'admettre que de deux atomes portés dans le vide, l'un suit la ligne directe, et l'autre de lui-même s'en écarte. Épicure peut fort bien accorder que toute proposition est vraie ou fausse, sans craindre pour cela que tout arrive nécessairement par l'effet du Destin. Ce n'est pas en vertu de causes éternelles, et qui aient leur racine dans l'ordre nécessaire du monde, que cette proposition est vraie : «Carnéade descend à l'Académie, » et cependant elle n'est pas vraie sans cause; mais il y a une différence entre les causes fortuites qui influent sur la production d'un fait, et les causes efficientes qui le déterminent, en vertu de l'ordre immuable de la nature. Il a toujours été vrai qu'Épicure mourrait à soixante-douze ans, sous l'archonte Pytharatus; cependant il n'y avait point de causes fatalement nécessaires pour qu'il en fût ainsi : mais, puisque l'événement est arrivé, de tout temps il est certain. Ceux qui disent que l'avenir est immuable, et que ce qui doit être ne peut pas ne pas être, sont loin de conclure que par conséquent le Destin gouverne le monde; ils ne font qu'expliquer la force des termes. Mais ceux qui admettent une série de causes éternellement enchaînées, dépouillent l'homme de sa volonté libre, et le font l'esclave du Destin. J'en ai dit assez sur ce point; passons à d'autres.

[10] X. Voici comment Chrysippe raisonne : «S'il y a quelque mouvement sans cause, on ne peut pas dire que toute proposition (g-axiohma, dans la langue des Dalecticiens) soit ou vraie, ou fausse. Car ce qui n'a pas de cause efficiente n'est ni