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Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/293

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n’enseignent pas l’art de constituer et de gouvernér les Etats ; ils le disent et s’en font gloire ; ils soutiennent que ce n’est pas là l’affaire des savants ni des sages, et qu’il faut laisser ce soin aux politiques. Mais alors pourquoi promettre de prêter leur secours à l’État, si la nécessité les y contraint ? pourquoi, lorsqu’ils avouent qu’ils seraient incapables de prendre part aux affaires publiques dans les temps ordinaires, et sans comparaison plus faciles ? Mais entrons dans leurs vues ; admettons que le sage ne descendra pas volontairement à s’occuper des intérêts de 1’Etat, mais que si les circonstances l’y obligent jamais, il ne reculera point devant le fardeau qu’elles lui imposeront : je dis qu’alors même le sage ne doit point négliger l’étude de la politique, car il est de son devoir de se préparer à toutes les ressources dont il ignore s’il ne sera pas un jour obligé de faire usage.

VII. Si je me suis étendu sur ce sujet, c’est que me proposant de traiter de la République dans cet ouvrage, et ne voulant pas faire un livre inutile, je devais avant tout lever tous les doutes sur l’excellence de la vie publique. S’il est des esprits qui aient besoin pour se rendre de l’autorité des philosophes, qu’ils jettent les yeux sur les écrits de ceux qui tiennent la première place dans l’estime des meilleurs juges, et dont la gloire est incomparable ; ils verront ce que pensent ces grands maîtres, qui tous n’ont pas eu des Etats à gouverner, mais qui, méditant et écrivant avec tant d’ardeur sur les sociétés humaines, me semblent avoir exercé par là quelque importante magistrature. Quant aux sept sages dont la Grèce s’honore, je les vois presque tous engagés dans les affaires publiques. C’est qu’en effet l’homme ne se rapproche jamais plus de la Divinité que lorsqu’il fonde des sociétés nouvelles, ou conduit heureusement celles qui déjà sont établies.

VIII. Pour nous, nous avons peut-être plus d’un titre à entreprendre cet ouvrage ; car nous réunissons le double avantage d’avoir signalé notre carrière politique par quelque fait digne de mémoire, et acquis par l’expérience, par l’étude et l’usage constant de communiquer nos connaissances, une certaine facilité à traiter ces matières délicates ; tandis que ceux qui nous ont ouvert la carrière ont tous été ou d’élégants écrivains, dont on ne pourrait citer aucune action mémorable, ou des politiques habiles, mais étrangers à l’art d’écrire. D’ailleurs mon intention n’est pas de développer ici un nouveau système politique éclos de mon imagination, mais de rapporter en narrateur fidèle, et tel que nous l’avons entendu de la bouche de P. Rutilius Rufus, lorsque nous passâmes, vous et moi, vous bien jeune alors, plusieurs jours à Smyrne, l’entretien de quelques anciens Romains, les plus illustres de leur temps et les plus sages de notre république. Dans cet entretien se trouve rassemblé, à ce que je crois, tout ce qui a un rapport essentiel aux intérêts et au gouvernement des Etats.

IX. On était alors sous le consulat de Tuditanus et d’Aquillius ; Publius l’Africain, le fils de Paul Émile, avait décidé qu’il passerait les féries Latines dans ses jardins, et ses plus intimes amis lui avaient promis de venir le voir souvent pendant ces jours de fêtes. Le premier luisait à peine, que