Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/303

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et avant tout au principe même qui a produit la société. Il peut être exercé ou par un seul, ou par quelques hommes choisis, ou par la multitude entière. Lorsque le souverain pouvoir est dans les mains d’un seul, ce maître unique prend le nom de roi, et cette forme de gouvernement s’appelle royauté. Lorsqu’il est dans les mains de quelques hommes choisis, c’est le gouvernement aristocratique. Quand le peuple dispose de tout dans l’État, c’est le gouvernement populaire. Chacun de ces trois gouvernements peut, à la condition de maintenir dans toute sa force le lien qui a formé les sociétés humaines, devenir, je ne dirai pas parfait ni excellent, mais tolérable ; et suivant les temps l’une ou l’autre de ces constitutions méritera la préférence. Un roi équitable et sage, une aristocratie digne de son nom, le peuple lui-même (quoique l’état populaire soit le moins bon de tous), s’il n’est aveuglé ni par l’iniquité ni par les passions, tous, en un mot, peuvent donner à la société une assiette assez régulière.

XXVII. Mais dans les monarchies la nation entière, à l’exception d’un seul, a trop peu de droits et de part aux affaires ; sous le gouvernement des nobles, le peuple connaît à peine la liberté, puisqu’il ne participe pas aux conseils et n’exerce aucun pouvoir ; et dans l’état populaire, quand même on y rencontrerait toute la justice et la modération possibles, l’égalité absolue n’en est pas moins de sa nature une iniquité permanente, puisqu’elle n’admet aucune distinction pour le mérite. Ainsi, que Cyrus, roi de Perse, ait montré une justice et une sagesse admirables, je ne puis cependant me persuader que son peuple se soit trouvé dans l’état le plus parfait sous la conduite et l’empire absolu d’un seul homme. Si l’on peut me montrer les Marseillais, nos clients, gouvernés avec la plus grande équité par quelques citoyens choisis et tout-puissants, je n’en trouve pas moins dans l’état du peuple, soumis à de tels maîtres, une image assez frappante de la servitude. Enfin lorsque les Athéniens, à une certaine époque, supprimèrent l’Aréopage, et ne voulurent plus reconnaître d’autre autorité que celle du peuple et de ses décrets, au milieu de cette égalité injurieuse au mérite, Athènes n’avait-elle pas perdu son plus bel ornement ?

XXVIII. Et quand je parle ainsi de ces trois formes de gouvernement, ce ne sont pas les États bouleversés et déchirés que je juge, mais les sociétés florissantes. Dans la monarchie comme dans les deux autres, nous trouvons d’abord les inconvénients nécessaires dont j’ai parlé ; mais bientôt on y peut découvrir d’autres germes plus graves d’imperfection et de ruine, car chacune de ces constitutions est toujours près de dégénérer en un fléau insupportable. A l’image de Cyrus, que je devrais appeler, pour bien dire, un roi supportable, mais que je nommerai, si vous le voulez, un monarque digne d’amour, succède en mon esprit le souvenir de Phalaris, ce monstre de cruauté ; et je comprends que la domination absolue d’un seul est entraînée par une pente bien glissante vers cette odieuse tyrannie. A côté de cette aristocratie de Marseille, Athènes nous montre la faction des Trente. Enfin, dans cette même Athènes, pour ne pas citer d’autres peuples, la démocratie sans frein nous donne le triste spectacle d’une multitude qui s’emporte aux derniers excès de la fureur, et dont l’aveuglement… (LACUNE).