Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/353

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pion. Permettez-moi, puisque nous avons encore du loisir pendant ce troisième jour de fête, de vous faire un récit… Voilà comment est amenée la narration du songe de Scipion. Il va montrer que les honneurs durables et les couronnes immortelles dont il parle, sont les récompenses préparées dans le ciel aux grands citoyens, et qu’il a vues en esprit. Macrobe, I, 4.

IV. Lorsque j’arrivai pour la première fois en Afrique, où j’étais, comme vous le savez, tribun des soldats dans la quatrième légion, sous le consul M’. Manilius, je n’eus rien de plus empressé que de me rendre près du roi Masinissa, lié à notre famille par une étroite et bien légitime amitié. Dès qu’il me vit, le vieux roi vint m’embrasser en pleurant, puis il leva les yeux au ciel, et s’écria : « Je te rends grâce, Soleil, roi de la nature, et vous tous, Dieux immortels, de ce qu’il me soit donné, avant de quitter cette vie, de voir dans mon royaume et à mon foyer P. Cornélius Scipion, dont le nom seul ranime mes vieux ans ! Jamais, je vous en atteste, le souvenir de l’excellent ami, de l’invincible héros qui a illustré le nom des Scipions ne quitte un instant mon esprit. » Je m’informai ensuite de son royaume ; il me parla de notre république, et la journée entière s’écoula dans un entretien sans cesse renaissant.

V. Après un repas d’une magnificence royale, nous conversâmes encore jusque fort avant dans la nuit ; le vieux roi ne parlait que de Scipion l’Africain, dont il rappelait toutes les actions et même les paroles. Nous nous retirâmes enfin pour prendre du repos. Accablé par la fatigue de la route et par la longueur de cette veille, je tombai bientôt dans un sommeil plus profond que de coutume. Tout à coup une apparition s’offrit à mon esprit, tout plein encore de l’objet de nos entretiens ; c’est la vertu de nos pensées et de nos discours d’amener pendant le sommeil des illusions semblables à celles dont parle Ennius. Il vit Homère en songe, sans doute parce qu’il était sans cesse pendant le jour occupé de ce grand poëte. Quoi qu’il en soit, l’Africain m’apparut sous ces traits, que je connaissais moins pour l’avoir vu lui-même que pour avoir contemplé ses images. Je le reconnus aussitôt, et je fus saisi d’un frémissement subit ; mais lui : Rassure-toi, Scipion, me dit-il ; bannis la crainte, et grave ce que je vais te dire dans ta mémoire.

VI. Vois-tu cette ville qui, forcée par mes armes de se soumettre au peuple romain, renouvelle nos anciennes guerres et ne peut souffrir le repos ? (Et il me montrait Carthage d’un lieu élevé, tout brillant d’étoiles et resplendissant de clarté.) Tu viens aujourd’hui l’assiéger, presque confondu dans les rangs des soldats ; dans deux ans, élevé à la dignité de consul, tu la détruiras jusqu’aux derniers fondements, et tu mériteras par ta valeur ce titre d’Africain que tu as reçu de nous par héritage. Après avoir renversé Carthage, tu seras appelé aux honneurs du triomphe, créé censeur ; tu visiteras, comme ambassadeur du peuple romain, l’Égypte, la Syrie, l’Asie, la Grèce ; tu seras nommé, pendant ton absence, consul pour la seconde fois ; tu mettras fin à une guerre des plus importantes, tu ruineras Numance. Mais après avoir monté en triomphateur au Capitole, tu trouveras la république tout agitée par les menées de mon petit-fils.

VII. Alors, Scipion, ta prudence, ton génie, ta