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Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/37

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TUSCULANES, LIV. IV.

rement donc la cupidité et la joie regardent des biens présumés tels. L’une, à l’aspect de ces faux biens, allume en nous de violents désirs : l’autre se développe, dans la possession. Car naturellement tous les hommes courent après ce qui paraît bon, et ils fuient le contraire. Ainsi, des que nous croyons voir le bien , d’abord la nature nous pousse d’elle-même à le rechercher. Et quand on s’y porte modérément, et d’une manière subordonnée à la prudence , c’est ce qui s’appelle une volonté raisonnable, un désir honnête, et qui par conséquent ne se trouve que dans le sage. Mais si l’on s’y porte avec violence, et sans écouter la raison, alors c’est une cupidité effrénée, qui se voit dans tous les fous. La jouissance du bien remue aussi l’âme de deux différentes manières. Ou c’est un mouvement raisonnable, et qui ne fait que mettre une douce satisfaction dans l’esprit. Ou ce sont des transports de joie, que les Stoïciens appellent un épanouissement de cœur, incompatible avec la raison. D’un autre côté, comme la nature nous fait rechercher le bien , aussi nous éloigne-t-elle du mal. User de moyens raisonnables pour détourner le mal, c’est ce qui s’appelle précaution, et cela entre dans le caractère du sage. Mais ce qui s’appelle crainte, c’est se laisser indignement abattre le cœur à l’approche du mal , sans faire ce que la raison dicte pour s’en garantir. Ainsi la crainte est proprement une précaution insensée. Le mal présent ne fait nulle impression sur le sage : mais il produit dans les fous un sentiment douloureux, qui consterne leur âme et la resserre. Cette espèce de sentiment, en quoi consiste la tristesse, peut donc se définir en général, un resserrement de Vâme> opposé à la raison. Voilà toutes les passions réduites à quatre ; trois desquelles seulement ont des objets qui occasionnent des situations contraires dans l’esprit du sage : car le contraire de la tristesse n’y met rien de nouveau.

VIL Mais l’opinion étant, selon les Stoïciens, ce qui fait toutes les passions ; ils les ont définies d’une manière encore plus précise, afin que nous concevions, non-seulement combien elles sont mauvaises, mais combien nous en sommes les maîtres. Ainsi, selon eux, la tristesse est l’opinion que l’on a d’un mal présent, jugé tel, qu’il mérite que l’âme s’abatte et se resserre : la^’os’e, l’opinion que l’on a d’un bien présent, jugé tel, qu’on ne saurait être trop charmé de le posséder : la crainte, l’opinion que l’on a d’un mal futur, qui paraît insupportable : et la cupidité, enfin, l’opinion que l’on a d’un bien futur, qui semble promettre de grands avantages. Puisque les passions ne sont toutes qu’opinion, les effets qu’elles produisent, sont donc aussi l’ouvrage de l’opinion. Et c’est donc l’opinion qui cause cette espèce de morsure intérieure, dont la tristesse est accompagnée ; ce rétrécissement de l’âme, dans la crainte ; ces vivacités outrées, dans la joie ; ces désirs sans bornes, dans la cupidité. Au reste, dans toutes ces définitions, les Stoïciens n’entendent par opinion, qu’un faible acquiescement de l’esprit à quelque idée , dont il a été frappé. On subdivise ensuite chaque genre en ses espèces. A la tristesse répondent, envie, jalousie, peine qu’on se fait du bonheur d’autrui, pitié,