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Traité des devoirs

Préface

Le traité des Devoirs est l'un des derniers écrits philosophiques de Cicéron ; c'est du moins le dernier qui nous ait été conservé. Il fut composé l'année même où Marc-Antoine ressaisit le pouvoir qui avait semblé un moment, après la mort de César, revenir au main du sénat, et de ces dernier représentants de l'aristocratie romaine que Cicéron a loués, encouragés, secondés, et dont il pleure ici la perte. Quelques mois après avoir achevé ce livre de morale, le plus complet et le plus solide de toute l'antiquité, il prononça les deux premières philippiques, et se lança dans une lutte inégale où la mort l'attendait. En proposant à son fils les règles de la morale, en lui donnant ces graves préceptes sur lesquels le doute ne peut être permis, et qui doivent être les plus respectées de toutes les lois, Cicéron n'eut garde de recourir à la forme du dialogue et de suivre la méthode de l'Académie, qui, à force de discussions et de prétendus scrupules, ébranlait toutes les vérités. On peut même croire que si cet ouvrage fut dédié au jeune Tullius, parce que son père avait depuis longtemps résolu de composer pour lui quelques livres d'éducation, il le fut tout autant pour permettre au moraliste de parler avec plus d'autorité, et pour faire pardonner au philosophe le ton dogmatique contre lequel il s'était si souvent élevé lui-même. Il est vrai que jamais on ne vit de grands dissentiments entre les philosophes sur les devoirs positifs, et que toutes les fois qu'il fallut en venir à déterminer les règles pratiques de la conduite, toutes les écoles s'entendirent assez bien, malgré la divergence de leurs opinions sur les premiers principes de la morale. La nature indique à toute âme un peu élevée quels sont les devoirs les plus importants, et quelle route il faut suivre dans la vie. C'est du moins ainsi que le jugeait l'antiquité ; et cette conviction explique comment Cicéron pouvait se trouver ici dans une région supérieure à celle de la philosophie proprement dite, et surtout inaccessible aux attaques de l'esprit académique, plutôt sceptique qu'impartial sur les questions élevées. Le traité des Devoirs est divisé en trois livres. Dans le premier, Cicéron parle de l'honnête ; dans le second de l'utile ; dans le troisième, il compare l'utile avec l'honnête. La plupart des maximes développées dans les diverses parties de cet ouvrage portent le cachet de la sévérité stoïcienne ; elles reviennent à ces principes fondamentaux que l'école de Zénon avait établis avec tant de force et qui convenaient si bien au génie romain : Que rien n'est utile que ce qui est honnête ; que c'est un préjugé déplorable de séparer l'utile de l'honnête, et d'en parler comme de deux choses distinctes et parfois même opposées ; que l'homme se doit à ses semblables, et ne s'appartient que très-incomplètement à lui-même ; que rien par conséquent n'est utile pour l'individu qui ne le soit en même temps pour la société, et qu'il faut consulter l'intérêt public pour connaître le sien. Avec de tels principes il est facile de prévoir quelles solutions l'auteur donnera aux questions, souvent embarrassantes pour le simple bon sens, que soulève la comparaison des intérêts et des devoirs, et surtout celle des devoirs entre eux. Dans un pays illustré par tant de grandes âmes et par l'héroïsme de Régulus, il n'était même pas besoin de recourir aux dogmes du stoïcisme pour immoler l'intérêt à la vertu, et prononcer que l'utilité la plus manifeste doit toujours être sacrifiée au devoir. Ce qui donne un caractère particulier aux oeuvres de Cicéron, c'est qu'elles ne s'adressent qu'imparfaitement à tous les hommes, et sont destinées surtout aux nobles Romains, dont la perfection était de bien gouverner la république, d'être généreux pour leurs clients, de se montrer dignes de leurs fiers aïeux. On pourrait appeler ces livres le Code de la sagesse patricienne. Il faut donc s'attendre à trouver dans le traité des Devoirs beaucoup de préceptes admirables, mais qui souvent ne conviennent qu'à des hommes d'une naissance privilégiée, et sont plus d'une fois à l'adresse des Romains seulement. C'est ainsi que, dans le premier livre, Cicéron s'occupe presque autant des bienséances que de la vertu, et que, dans le second, il n'enseigne guère à son fils que les moyens d'arriver à la faveur et à la gloire. tel qu'il est, ce bel ouvrage ne mérite pas moins l'éloge qu'on lui a toujours donné, d'être l'ouvrage de morale le plus complet et le plus solide de toute l'antiquité. En répétant cet éloge, nous croyons mettre le traité des Devoirs à un rang qui justifie bien ce mot d'un disciple de Port-Royal : "Il faut avouer que Dieu a voulu que la raison humaine fît ses plus grands efforts avant la loi de grâce, et il ne se trouvera plus de Cicéron ni de Virgile." Au suffrage de l'abbé de Saint-Cyran, nous en pourrions joindre une foule d'autres ; peu d'auteurs ont été plus admirés que Cicéron, et, parmi ses ouvrages, il n'est pas un qui ait été plus goûté que celui-ci. De tous ces témoignages, nous ne voulons