Page:Cicéron - Œuvres complètes Nisard 1864 tome 4.djvu/49

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
39
TUSCULANES, LIV. IV.

C’est donc à vous personnellement que s’adresse la suite de mon discours. Aussi bien pourriez-vous, dans la thèse que vous m’avez proposée, n’avoir eu que vos propres intérêts en vue. Les passions étant différentes, comme je l’ai montré, il y a différentes manières de les combattre. Un seul et même remède ne serait pas efficace contre la pitié, contre l’envie, contre la douleur que cause la mort d’un ami. Et d’ailleurs, de quelque espèce que soit une passion, il faut examiner lequel sera le plus avantageux, ou de l’attaquer en général, comme étant un mépris de la raison, et un appétit déréglé, ou de l’attaquer en particulier, comme étant telle ou telle passion, la crainte, la volupté, ainsi du reste. On jugera, dis-je, s’il est plus à propos, ou de faire voir que telle chose qui donne du chagrin ne mérite pas d’en donner, ou de faire voir qu’absolument il n’y a rien au monde qui le mérite. Voilà quelqu’un de triste, parce qu’il est pauvre : faut-il chercher à lui faire entendre, ou que la pauvreté n’est point un mal, ou qu’il n’y a rien dont il soit permis de s’attrister ? Je croirais ce dernier parti le plus sûr : parce que si vous ne persuadez pas votre homme sur l’article de la pauvreté, vous lui laissez toute sa tristesse ; et qu’au contraire, si vous lui prouvez, comme je fis hier, qu’il ne faut s’affliger de rien, sa pauvreté cesse de lui paraître un si grand mal.

XXVIII. Toute passion, il est vrai, sera fort soulagée par cette réflexion, que les biens qui sont l’objet de la joie ou de la cupidité ne sont pas de vrais biens, et que les maux qui sont l’objet de la tristesse ou de la crainte ne sont pas de vrais maux. Il y a cependant un spécifique encore plus certain ; c’est de faire bien comprendre qu’il n’y a point de passion qui ne soit essentiellement mauvaise, ni qu’on puisse croire inspirée par la nature, ou commandée par une sorte de nécessité. Car ne voyons-nous pas qu’en effet, pour rappeler le calme dans le cœur d’une personne affligée, souvent il suffit de lui représenter son peu de courage, ou de faire en sa présence l’éloge de ceux qui conservent dans les plus tristes situations une fermeté inébranlable ? Les exemples n’en sont pas rares, même parmi les personnes qui croient que ces sortes d’accidents sont de vrais maux, mais qu’il faut les souffrir, patiemment. Un homme est voluptueux, l’autre est avare. Or la preuve que ce n’est ni la nature, ni aucune sorte de nécessité, qui les engage à être tels, c’est qu’on peut retirer celui-ci de son avarice, et celui-là de ses voluptés. Cette autre manière d’attaquer les passions, en détruisant les préjugés d’où elles partent, est bien la plus ingénieuse : mais rarement elle réussit ; et il ne faudrait pas l’employer avec le vulgaire. Il y a même des cas où elle porterait à faux. Car si j’étais chagrin, par exemple, de ne voir en moi ni vertu, ni courage, ni honneur, ni probité, on ne pourrait pas me dire que ce qui me chagrine n’est pas un mal réel. Il faudrait donc, pour me guérir, avoir recours à un autre remède, qui fût de nature à être approuvé par tous les philosophes, de quelque secte qu’ils soient. Or ils doivent tous convenir, que toute émotion de l’âme, qui s’écarte de la raison, est vicieuse. Quand donc il serait vrai que l’objet de la cupidité ou de la joie fût un bien réel, et que l’objet de la crainte ou de la tristesse fût un mal réel, il n’en serait pas moins vrai, que l’émotion causée par ces objets serait vicieuse. Car l’homme que nous tenons pour magnanime et pour courageux, doit