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CICÉRON

l’homme pour le rendre heureux, et je l’ai soutenue d’autant plus volontiers, que c’est votre thèse favorite ; car L’excellent traité de la Vertu, que vous m’avez adresse, et divers entretiens que nous avons eus ensemble sur ce point, m’ont fait assez connaître combien vous étiez pénétré de cette belle maxime. Quoiqu’il semble difficile de se la persuader, à cause de la variété et de la multitude des traverses de la fortune, elle est néanmoins de telle importance, qu’on doit faire toutes sortes d’efforts pour en convaincre les esprits : c’est ce (pie la philosophie nous enseigne de plus grand et de plus essentiel. Ces premiers hommes, qui se sont appliqués à cette science, étudièrent préférablement à toute autre chose l’art de vivre heureux : et il n’y a que l’espérance d’y parvenir qui les ait portés à faire tant de recherches. Si c’est eux qui nous ont fait connaître la vertu : et si le secours de la vertu nous suffit pour vivre heureux ; combien sont-ils louables d’avoir philosophé, et nous, de les imiter ? Que si au contraire la vertu soumise aux divers accidents de la vie, est, pour ainsi dire, aux ordres du sort, sans avoir la force de se garantir de ses coups, j’ai bien peur qu’au lieu de tout attendre d’elle, il ne nous reste pour appui de notre bonheur que des vœux stériles et impuissants. Pour moi, en repassant dans mon esprit les revers qui m’ont si violemment exercé, je serais d’abord tenté de me défier un peu de votre sentiment, par la connaissance que j’ai de la faiblesse et de la fragilité humaine. Puisque la nature nous a donné un corps infirme, sujet a des maladies incurables et a d’insupportables souffrances, n’est-il pas a craindre que notre âme, en participant aux infirmités de son associé, n’ait, de plus ses propres maladies et ses douleurs particulières ? Mais je reviens de cette idée, quand je considère que ce qui me fait juger mal des forces de la vertu, ce n’est point la vertu même, c’est la faiblesse des hommes, et peut-être la mienne propre. Car si la vertu est quelque chose de réel, comme l’exemple du grand Caton votre oncle ne permet pas d’en douter, je conçois (pie rien de ce qui est possible, et indépendant d’elle, n’est capable de la toucher, et qu’à l’exception de ce qui est faute, elle regarde tout le reste comme nul. Au lieu que nous autres, qui par de folles alarmes prévenons les maux a venir, et aggravons les présents par un lâche abattement, nous aimons mieux en accuser la nature que de nous donner le tort.

II. Pour nous guérir de cette erreur, et de tant d’autres, recourons à la philosophie. Entraîné autrefois dans son sein par mon inclination, mais ayant depuis abandonné son port tranquille, je m’y suis enfin venu réfugier, après avoir essuyé la plus horrible tempête. Philosophie, seule capable de nous guider ! ô toi qui enseignes la vertu, et qui domptes le vice ! que ferions-nous, et que deviendrait le genre humain sans ton secours ? C’est toi qui as enfanté les villes, pour faire vivre en société les hommes, auparavant dispersés. C’est toi qui les as unis, premièrement par la proximité du domicile, ensuite par les Mens du mariage, et enfin par la conformité du langage et de l’écriture. Tu as inventé les lois, formé les mœurs, établi une police. Tu seras notre asile ; c’est à ton aide que nous recourons ; et si dans d’autres temps nous nous sommes contentés de suivre en partie tes leçons, nous nous y livrons