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TUSCULANES, LIV. V.

de la magnanimité et de la patience, elle ne s’arrêtera pas à la vue des bourreaux : et que toutes les vertus s’étant présentées à la torture avec intrépidité, elle ne restera pas, comme j’ai déjà dit, à la porte de la prison. Quel opprobre, quelle horreur de l’y voir seule et séparée de ses généreuses compagnes ? Mais la chose n’est pas possible. Car ni les vertus ne peuvent subsister sans la félicité, ni la félicité sans elles. Ainsi, à quelque supplice qu’elles soient menées, elles l’entraîneront avec elles, sans lui permettre d’hésiter un moment. Car le sage a cela de propre, qu’il ne fait rien malgré lui, et dont il puisse avoir des remords ; qu’il agit en tout avec dignité, avec fermeté, avec gravité, avec honneur ; crue, ne s’attendant à rien de certain, il n’est surpris d’aucun événement ; qu’il ne reçoit la loi de personne, et ne dépend que de lui-même. Or n’est-ce pas là le comble du bonheur ? La conséquence est aisée pour les Stoïciens, qui mettent le souverain bien à vivre suivant les lois de la nature. Un homme sage, non-seulement doit vivre ainsi, mais il le peut. Or, puisqu’il est maître de posséder le souverain bien, il est aussi en son pouvoir d’être heureux ; et par conséquent il l’est toujours. Voilà, sur cet article, tout ce que je puis vous dire de plus fort ; et à moins que vous n’ayez quelque chose de mieux à nous apprendre je crois que c’est aussi ce qu’il y a de plus vrai.

XXIX. L’a. Je n’ai certainement rien à dire de meilleur ; mais j’ai une grâce à vous demander. Comme vous n’êtes lié à aucun système, et que vous prenez de chacun ce qui vous paraît de plus vraisemblable, enseignez-moi, je vous prie, comment vous avez pu, après avoir employé contre les Péripatéticiens et contre l’ancienne Académie beaucoup d’arguments tournés à la manière des Stoïciens ; comment, dis-je, vous avez pu cependant les exhorter à déclarer hardiment, sans renoncer à leurs principes, que le sage est toujours souverainement heureux. C. Je vais donc user de la liberté, qui, entre toutes les sectes des philosophes, est réservée à la nôtre seule, dans laquelle jamais on ne porte son jugement, mais on s’y contente d’exposer le pour et le contre, afin que chacun prenne le vrai ou il croit le voir, sans se laisser entraîner par l’autorité. Vous demandez, ce me semble, si, quelque sentiment qu’on embrasse sur le souverain bien, cette proposition peut se soutenir, Que la vertu suffit pour nous rendre heureux. Carnéade n’en convenait pas, parce qu’il en voulait aux Stoïciens, qu’il prenait plaisir à contredire en tout, et à tout propos. Pour moi, je ne mettrai point ici de vivacité. Car si les Stoïciens ont pensé juste sur le souverain bien, il n’y a, par rapport à eux, nulle difficulté sur l’article dont il s’agit, Que le sage est toujours heureux. Reste à examiner si ce beau dogme peut également cadrer avec tous les autres systèmes.

XXX. Parmi ceux qui ont été proposés sur le souverain bien, il s’en est conservé quatre simples. Celui des Stoïciens, « Qu’il n’y a de bon que ce qui est honnête. » Celui des Épicuriens « Qu’il n’y a de bon que ce qui est agréable. » Celui d’Hiéronyme, « Qu’il n’y a de bon que la privation de la douleur. » Et celui qu’a voulu établir Carnéade contre les Stoïciens, « Qu’il n’y a rien