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INTRODUCTION

tions, les aspirations, toute la vie intellectuelle et morale de ces générations tumultueuses et inquiètes ; il fait agir sous nos yeux leurs dieux, leurs seigneurs, leurs religieux, leurs thaumaturges, leurs guerriers, leurs héroïnes et jusqu’à leurs fantômes ; surtout, il nous montre à merveille la profonde empreinte dont le Bouddhisme avait marqué les hommes de ce temps, la poésie qu’il savait tirer pour eux du spectacle de la nature, et comment il en revêtait l’instabilité des choses et l’impermanence universelle.

Car dans une large mesure cet art est sien, et c’est son souffle qui l’anime. Non seulement ses religieux par leurs prières procurent aux morts la paix et le salut, apaisent les génies et exorcisent les démons ; non seulement ses monastères reçoivent en leurs calmes asiles ceux que l’existence a lassés ou trompés, et sa loi console et secourt les affligés et les misérables ; mais en toutes choses et toujours c’est lui qui parle, c’est sa pensée qu’expriment toutes les bouches. Il infuse vie et sentiment à toute la nature, aux plantes, à la terre elle-même. Mieux encore, c’est lui vraiment qui chante et honore les anciennes divinités nationales ; elles n’y perdent rien de leur prestige, car il se plaît à reconnaître en elles des manifestations (gongen) d’êtres ou de puissances que lui-même vénère sous d’autres formes et d’autres noms[1].

Ce caractère religieux du nô est un des points par où

  1. Les nô sont en effet imprégnés au plus haut point des théories du Ryôbu shintô, qui prévalurent au Japon durant tout le moyen âge, et furent la principale cause de la rapide diffusion du Bouddhisme dans le peuple. On sait que ces théories, sur lesquelles nous ne pouvons nous étendre ici, aboutissaient à identifier les dieux du Shintoïsme avec des êtres surnaturels ou de grands personnages du Bouddhisme. De là le mélange intime des deux religions dans la plupart des grands sanctuaires et dans la pensée et la dévotion du peuple.