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LA PRISON. — LA GUILLOTINE

yeux s’étaient rivés aux barreaux de la fenêtre. Mais une ferme réaction de son courage l’avait immédiatement redressée.

D’abord, de la propreté, de l’ordre.

Ne se fiant qu’à elle-même, elle entreprend de laver les murailles, le plancher. Elle étend une serviette blanche sur une vilaine table : ce sera son bureau. Elle installe un porte manteau avec « deux grosses épingles de tête » qu’elle enfonce dans le mur. Puis elle prépare la liste des livres qu’elle se fera apporter : Plutarque, d’abord ; ensuite Hume, Shaftesbury, Thomson et un dictionnaire anglais. Par instants, au dehors, le tumulte et les roulements de tambour s’aggravent. Elle écoute, se remet à ses préparatifs, mais sans pouvoir s’empêcher de hausser les épaules, car la porte peut s’ouvrir à tout instant sous la poussée d’une bande furieuse, comme en Septembre dernier lorsque le prisonnier de cette même cellule périt assassiné en ce même lieu.

Le meilleur remède à de telles pensées est dans sa plume, elle le sent bien.

Elle se met à écrire, à écrire une bonne partie du jour et de la nuit. Elle écrit à sa Section[1]. Elle écrit au ministre de la Justice une lettre qui, dès la première ligne, résume la question avec force.

Citoyen, je suis opprimée, j’ai donc sujet de vous rappeler mes droits et vos devoirs.

Elle écrit à Dulaure qui a publié d’ineptes accusations contre les Girondins dans le Thermomètre du jour. Surtout elle compose des Notes historiques sur les événements qu’elle a observés de près et, si elle s’interrompt un instant, ses yeux se posent avec délices sur les belles fleurs que Bosc lui fait envoyer du Jardin des Plantes.

Cela durait depuis vingt-quatre jours lorsque, à sa grande surprise, un commissaire qui l’avait fait appeler chez le concierge de la prison, lui dit brusquement :

« Je viens vous mettre en liberté. »

Elle apprend que, rue de la Harpe, les scellés vont être levés et qu’elle peut rentrer chez elle.

  1. La section de Beaurepaire où le nom de Roland était populaire.