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MADAME ROLAND

tion et de stupeur… La femme qui la servait me dit un jour : « Devant vous elle rassemble toutes ses forces, mais dans la chambre elle reste quelquefois trois heures appuyée sur sa fenêtre à pleurer… Ce mélange d’amollissement naturel et de force la rendait plus intéressante.

Le jour où elle monta à l’interrogatoire, nous la vîmes passer avec son assurance ordinaire. Quand elle revint, ses yeux étaient humides. On l’avait traitée avec une telle dureté, jusqu’à lui faire des questions outrageantes pour son honneur, qu’elle n’avait pu retenir ses larmes tout en exprimant son indignation.

Le 8 novembre arriva. Riouffe continue :

Le jour où elle fut condamnée, elle s’était habillée en blanc et avec soin. Ses lourds cheveux noirs tombaient épars jusqu’à sa ceinture. Elle eût attendri les cœurs les plus féroces… D’ailleurs elle n’y prétendait pas. Elle avait choisi cet habit comme symbole de la pureté de son âme. Après sa condamnation elle repassa dans le guichet avec une vitesse qui tenait de la joie. Elle indiqua par un signe démonstratif qu’elle était condamnée à mort.

On sait que les sentences étaient exécutées le jour même.

Elle souffrit avec calme, dit Champagneux[1], l’abord de l’exécuteur. Elle vit sans aucun murmure couper ses cheveux ; elle se laissa lier les mains.

Montée dans la charrette, elle y trouva un ci-devant directeur de la fabrication des assignats nommé Lamarche[2], condamné comme elle, mais qui n’avait pas son courage et qu’elle parvint à réconforter au point de le faire sourire. Sans cesser de lui parler, lentement elle traversa la ville sous les huées et les insultes, puis arriva place de la Révolution au moment où le jour tombait[3].

  1. Champagneux, Discours préliminaire de son édition des Mémoires de Mme Roland : « Le portrait que Riouffe a fait de la citoyenne Roland, loin d’être flatté, me semble au-dessous de la réalité. »
  2. Prévenu d’avoir « cherché à frauder et trahir les intérêts de la République et d’avoir prévariqué dans ses fonctions en s’appropriant le denier de la République. »
  3. L’ordre-d’exécution portait que la sentence serait exécutée à 3 h. 1/2. Cependant tout le monde s’accorde à dire qu’il était 5 h. 1/2. (?)