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MONSIEUR ROLAND DE LA PLATIÈRE

Lui non plus ne signe pas. En outre, il déguise son écriture sur l’adresse, pour dérouter l’inquiétude du père, la curiosité de Mignonne, et la jalousie de l’apprenti.

Le premier soin de la véridique Manon, en agréant la demande de M. de la Platière, fut pour avouer ses correspondances secrètes et pour rompre avec Sevelinges, auquel elle avait sans doute découvert ses nouveaux projets, puisqu’il répondit :

Méfiez-vous des gens d’esprit encore plus que des sots et des méchants d’inclination. Il n’est pas probable que vous rencontrerez deux fois un homme assez singulier pour répondre sans fiction à la vivacité des sentiments dont vous êtes capable, si l’inconstance ne vous préserve pas de ses effets.

On voit qu’il ne manquait alors que le nom à ce que, cent ans plus tard, on nomma la rosserie.

Mais Manon est accablée de tracas et de fatigues. Mignonne est tombée malade. Sa jeune maîtresse la couche dans son propre lit pour la mieux soigner et fait l’ouvrage de la maison. L’apprenti aussi est souffrant. Elle va de l’un à l’autre et s’applique à remettre celui-ci « dans le chemin de la vertu », tandis que la pauvre Mignonne expire en disant :

— Mademoiselle, je n’ai jamais demandé qu’une chose au Ciel, c’est de mourir auprès de vous : je suis contente.

Manon, pendant ce temps, a réfléchi aux conditions bizarres que Roland a mises à l’union projetée. Il exige un secret absolu, même à l’égard de Phlipon dont il a la prétention d’épouser la fille sans l’avoir demandée. Dans ses lettres, on le voit bien préparer la maison d’Amiens en vue de son mariage, mais, d’une date, il n’est pas question. Il n’écrit pas plus qu’à son futur beau-père, à sa propre famille qui va crier à la mésalliance. La jeune fille, dont le bon sens s’accomode mal de cette situation sans issue, prend bravement l’initiative nécessaire, mais, malgré tout son art, le conflit éclate. Phlipon et Roland échangent des lettres blessantes et, comme Manon est entre eux, c’est elle qui reçoit les coups. Elle a beau user d’une patience surhumaine et d’une douceur archangélique,