Page:Cléri - Le Crime de la chambre noire, 1915.djvu/55

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raconter, les domestiques du château avaient été congédiés et remplacés, et la femme qui était venue me trouver avec M. Mauvin, la maîtresse de celui-ci, avait pris la place de l’épouse légitime. Les deux petites filles de la disparue étaient trop jeunes pour s’apercevoir de la substitution : l’une avait quatre ans, l’autre deux environ. Mlle Levroie passa aux yeux de tout le monde pour être l’épouse légitime de M. Mauvin. Seule, je connaissais leur terrible secret. Quelque temps après, la fausse châtelaine vint me trouver. Elle m’apportait un sac d’or :

— Vous nous avez bien servi, dit-elle, voici pour payer votre concours et votre silence. Si un jour vous avisez de parler, votre complicité serait établie et…

— Mais, objectai-je, qu’est devenue Mme Mauvin ?

— Nous lui avons fait absorber le poison que vous avez fourni et, lorsqu’elle fut morte, nous la jetâmes dans les oubliettes du château. Vous le voyez, notre secret est bien enfermé. Vous n’avez rien à craindre.

Stupéfaite, affolée par cet aveu, terrorisée, je ne répondis rien. J’étais trop peu de chose pour accuser le riche et respecté châtelain de Sauré : j’eus peur, je me tus… Je jouissais déjà d’une si mauvaise renommée dans la contrée où l’on m’accusait d’entretenir des relations avec le démon… Je croyais la véritable Mme Mauvin morte lorsque tantôt je l’ai reconnue. Un an après le crime dont je vous parle, la fausse Mme Mauvin vint me retrouver et elle confia à ma garde un enfant naturel qu’elle avait mis au monde quelques années auparavant : c’est le pauvre d’esprit que vous avez vu ici et que l’on a surnommé « Carboul ».

À ce moment du récit, on vit une tête stupide apparaître dans l’entrebâillement de la porte.