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Sensations de Nouvelle-France

j’aperçois encore, hâtent le pas et disparaissent un à un.

Bientôt je suis réellement seul avec moi-même, seul pour de bon sur cette immense promenade, qui cette fois me paraît d’une longueur prodigieuse ; seul en face de la ville basse, dormant à mes pieds, tandis que là-haut la citadelle semble accroupie dans une pose de monstre cyclopéen. Seul, aussi, dans tout ce pointillement de feux électriques qui, partant de la rampe même de la Terrasse, plonge subitement tout en bas à cent mètres de profondeur, pour de là s’épandre, rayonner, puis miroiter sur le fleuve en longues flèches dansantes, et enfin escalader là-bas, sur l’autre rive, les hauteurs de Lévis, et se perdre, se confondre, dans les blancheurs lactées des étoiles penchées à l’horizon.

Dans la paix sereine de la nuit, pas un bruit, pas même le roulement de quelque voiture attardée. Parfois, seulement, des lointains d’au-dessous, monte une longue rumeur plaintive, et l’on devine que ce doit être le grand fleuve qui là-bas clapote dans l’ombre, encore sous le sursaut de la tempête d’hier. La rumeur, sans cesse, croît, s’enfle, et s’en va, pour renaître l’instant d’après, et cela semble, dans tout ce noir et ce silence, comme le ronflement mouillé de quelque colossal