Aller au contenu

Page:Clar - Les Jacques, 1923.djvu/10

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
LES JACQUES

château, mais sa charge s’alourdissait de la rançon du noble maître prisonnier à Londres, de la voracité du reître affamé et brutal à satisfaire.

Un hiver féroce, que suivit un printemps sans douceur, ajouta sa rigueur aux maux des pauvres hères. Il gela si fort que les loups s’enhardirent, venant chercher pâture jusqu’au cœur des hameaux. Ayant laissé seul un court instant le nourrisson qu’elle allaitait, une mère ne le retrouva plus. Folle de douleur, elle put suivre à la piste le chemin, marqué de sang, de la bête affamée.

Par un matin de la fin mars, qu’un soleil pâle ne réchauffait guère, sur un monticule dénudé de la forêt de Coucy, un homme s’allongeait, le ventre collé au sol. Mal protégé de la bise aigre par le mince sayon de toile, à demi-recouvert d’une peau de chèvre si pelée que de rares poils y adhéraient encore, il demeurait immobile. Sa tête, qu’enveloppait un méchant chaperon n’offrant plus nulle couleur précise et d’où s’échappait une mêche de cheveux noirs, était soutenue de ses poings fermés. Des chausses rapiécées couvraient ses mollets maigres.

Le bord de la roche sur laquelle l’homme se trouvait surplombait la vallée, dominant un détour du chemin qui enlaçait la colline, menant vers la plaine.

L’homme contemplait les champs étendus sous ses yeux comme un tapis roux et gris. Au fond de la gorge miroitait une rivière. Quelques masures

— 8 —