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Page:Clar - Les Jacques, 1923.djvu/17

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LES JACQUES

— Bâtard, dis-moi, répéta le paysan se tordant les doigts d’un geste emporté, connaîtrais-tu ?

Rouge le Bâtard rangeait son bissac, indifférent en apparence à l’impatience de son compagnon. Mais tout en rangeant, il se prit à dire, chantonnant comme pour son propre agrément :

— Elle monte du sillon, le matin quand le soleil se lève, puis elle se met à chanter. Elle ne chante pas bien fort, mais bientôt, elle chantera clair, plus haut, plus haut encore.

Dès les premiers mots, le paysan changea d’attitude. Sur son visage se reflétaient des sentiments divers, surprise, doute, espoir. Comme un roitelet fasciné par l’épervier, il se rapprochait du soldat pour écouter mieux, pliant les genoux, s’accroupissant à la fin à côté de lui. Quand il fut prêt à le toucher, il posa ses doigts frémissants sur le bras du soldat, répétant d’une voix étranglée :

— Que dis-tu ? Que dis-tu ?

— Je chante.

— Où as-tu appris cette chanson ?

— De-ci, de-là.

— Toi, un soldat, comment peux-tu la savoir ?

— Partout, frère, il en existe qui l’apprennent.

— Sous cet habit exécré, pouvais-je espérer l’entendre ?

— On n’accomplit pas toujours ce que l’on devrait faire, répondit gravement le soldat. Il faut attendre avant de juger.

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