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Page:Claretie - Catissou, 1887-1888.djvu/2

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jolie, qui allait et venait dans la cuisine où les casseroles luisaient comme de l’or rouge ; il lui souriait et disait, entre deux bouffées de tabac : « Sont-ils enragés, ces petits drôles ! »

La femme alors, bras nus, — de beaux bras blancs à demi couverts d’une pâte de farine, — s’avançait sur l’appui de la fenêtre, penchait du côté des gamins sa figure énergique et gaie, que le feu du fourneau rendait toute rose, et, regardant à son tour les enfants qui lançaient, à la volée, leurs bouts de fer :

— Bah ! il n’y a pas de danger ! Et puis ça les rend adroits et braves !

— Et ça leur donnera de l’appétit pour ton clafoutis, Catissou !

Le clafoutis, plat limousin, aussi massif que l’épaisse soupe aux choux du pays, cuisait déjà dans le four, avec des cerises noires encastrées dans la farine délayée d’eau, comme des briques dans du plâtre.

— Va-t-il bien, le clafoutis ? demanda encore le brigadier.

Et Catissou haussa les épaules comme pour répondre à son homme : « Est-ce que ta ménagère a l’habitude de manquer ses pâtisseries ?… Es-tu bête ! »

II

« Une bonne femme », nous disait, un moment après, Martial Tharaud, comme nous passions en le saluant.

Il était en humeur de jaser.

— Oui, oui (il devenait bavard lorsqu’il parlait de Catissou), une bonne femme et une rude femme que ma femme ! On ne croirait point, n’est-ce pas, en la voyant moucher ses marmots (nous avons trois petits, des garçons, voyez-moi çà, là-bas !) — on ne croirait pas, lorsqu’elle fait bouillir le pot-au-feu, qu’elle a été saltimbanque dans les foires ! C’est pourtant vrai — Oh ! toute une histoire !… Voilà ce que c’est :

« Il y a dix ans de ça, — je venais de quitter les chasseurs et d’entrer dans la gendarmerie, à Limoges, et ça m’allait, parce que je suis du pays, — l’adjudant nous dit, un matin, qu’il y avait une fameuse prise à faire. Un pauvre brave homme, père Coussac, maître maçon, avait été assassiné, chez lui, faubourg Montmailler, sans qu’on pût savoir qui avait fait le coup. C’était en septembre et nous devions aller en correspondance et battre les chemins à cause des chasseurs sans port d’armes. L’adjudant, M. Boudet, qui a passé capitaine maintenant, recommandait au maréchal des logis, qui est pour le moment adjudant du trésorier avec la croix en plus,