Page:Claretie - Catissou, 1887-1888.djvu/9

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femmes ont laissé de côté pour mettre des chapeaux comme les dames, ceux qui, l’avant vue, ne se détournaient pas pour la voir deux fois, étaient de fameux imbéciles. Et une taille ! Et un tien ! Il y a de belles filles à Limoges. Ma parole, ce n’est pas pour me flatter : la plus belle était Catissou.

« Aussi, ah ! foi de Dieu, elle en amenait à la baraque, des spectateurs, la Femme silure ! Elle n’avait pas besoin d’un grand orchestre comme le cirque Corvi, ou de boniments comme la troupe qui joue la Tour de Nesle ; pas du tout ; elle se montrait et on disait : « Ah ! la belle fille ! » et l’on entrait.

« Un jour, à Magnac-Laval, un lundi gras, voilà que j’entrai aussi, moi, dans la baraque de la femme silure, comme tout le monde. Elle était là, sur un petit théâtre, et en bas, accroupie comme une sorcière, la vieille mère Coussac qui, les sourcils durs, regardait tous les gens, l’un après l’autre, comme si elle avait voulu leur jeter un sort. Je m’avançai. Catherine me reconnut, pendant que je restais devant elle à me dire que ça lui allait joliment bien, ce costume, la jupe courte et les jambes bien prises avec des bottines hautes qui faisaient paraître ses pieds petits comme ceux d’un enfant, elle sourit et, d’un ton tout drôle :

« — Oh ! vous, dit-elle, je n’ai pas besoin de voir votre main, à vous !

« Et il y avait toujours comme une rage rentrée dans ses yeux noirs.

« Ah ! bien alors ! je compris ce qu’elle voulait, la brave fille ! Je savais maintenant ce qu’elle cherchait et pourquoi elle courait les pays déguisée comme ça en saltimbanque. Elle se rappelait toujours cette main, cette affreuse main féroce, et elle tendait à tout le monde sa petite main à elle, blanche, douce comme du satin, mais crâne et nerveuse, en espérant qu’elle reconnaîtrait l’autre main aux doigts égaux, l’ignoble main tachée de sang…

« C’était son idée, à Catissou ! On n’avait que cet indice-là ; eh bien ! ça lui suffirait, qu’elle pensait. Difficile d’ailleurs, de retrouver un coquin à travers le monde ; autant vaut chercher une aiguille dans une bottelée de foin. Mais il y a toujours des chances pour qu’un meurtrier vienne rôdailler autour de l’endroit où il a fait un coup. Le sang, c’est comme un magnétiseur, ma parole : il attire. Bien évidemment l’individu s’était éloigné de Limoges dans le premier moment, — et encore qui le savait ? — mais certainement aussi il reviendrait respirer l’odeur du faubourg Montmailler. Alors, quoi ! la femme silure avait des chances de la revoir, la