Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/222

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«  Je vous dis la des folies ; n’en riez pas. J’ai bien le droit de déraisonner un peu loin de vous. Petite fiancée, saurez-vous jamais combien je vous aime ? Songez que je n’ai jamais aimé personne avant de vous rencontrer ; songez que je n’ai point eu de sœur, ni d’ami ; songez que ma mère ne m’a pas caressé, et que mon père ne se souciait de moi que pour me choisir des collèges toujours lointains. C’est un cœur tout neuf que je vous apporte, un cœur qui n’a jamais servi ; et quoique vous soyez une petite sainte, et moi un mécréant, c’est moi qui de nous deux suis le plus naïf et le moins blasé : car ces mots mêmes que je vous écris, et qui ne savent pas être assez tendres, hier encore je les ignorais.

« Je vous écris dans ma chambre, — bleue maintenant comme vous la désiriez, — près de ce portrait que je vous ai volé un jour, et que je vous rendrai honnêtement, — le jour où je vous aurai, vous, en échange. Pour le moment, et malgré votre colère, je n’ai pas le courage de me priver de cette image, — mon talisman, mon fétiche, tout ce qui me reste de vous. — Sept jours, déjà, depuis que je vous ai quittée ! Et combien, avant que je vous retrouve ? Nous sommes à Hong-Kong, je le sais maintenant, parce que l’Angleterre et nous, avons eu une pique, et qu’on essaie de tout raccommoder par des poignées de mains et des bals. Qui peut deviner combien de bals et’ combien de shake-hands seront nécessaires ? Je ne veux rien savoir de cela, et je m’enferme à bord comme un malade que le bruit fatigue. Quand même,