Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/148

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ment hospitalières, et tout le skébé[1] nippon ; — il oublie, sans effort : Mlle Sylva répand autour d’elle une contagion de chasteté.

La voiture passe un ruisseau sur un pont de briques roses.

— « Est-ce comme cela, questionne Mlle Sélysette, les ponts japonais ?

— Pas du tout, il y a mille différences, — tellement que je ne puis les expliquer. Mais rien qu’en regardant ce ruisseau et cette arche, je sais que je suis en Cochinchine, et nulle part ailleurs. Dans le monde entier, pour des yeux qui savent voir, il n’existe pas deux pays pareils.

— Que c’est intéressant, soupire la jeune fille, d’avoir vu tant de choses, et de les garder ainsi photographiées au fond de sa mémoire ! — Votre tête doit ressembler à un album.

— Intéressant, — et attristant aussi, objecte Mme Sylva de sa voix pensive ; les marins, toujours exilés de tous les pays qu’ils ont aimés, doivent connaître autant de nostalgies qu’ils ont fait de voyages… »

Torral, l’autre semaine, a raillé Fierce en humeur de mélancolie ; Fierce s’en souvient, et la sympathie de Mme Sylva lui en est plus douce.

— « Tant de nostalgies ne font pas une tristesse. Nous conservons nette et charmante l’image des pays d’autrefois ; mais nous les regrettons rarement, parce

  1. Skébé : tout ce qui est obscène.