Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/18

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qui sortait, — un personnage grave et glabre, au teint de citron, aux gestes pesés, — le maître du lieu, Ariette, avocat à la Cour. Les deux hommes se serrèrent la main très cordialement ; la face morne de l’avocat se contourna même pour un sourire de bienvenue qui, probablement, n’honorait pas tous ses visiteurs.

— « Ma femme est là, mon cher ami, dit-il, et c’est gentil à vous d’être venu la voir. Il y a bien longtemps que je n’avais eu le plaisir de vous rencontrer chez moi.

— Croyez bien, mon cher, affirma Mévil, qu’il n’en faut accuser que ma paresse, et que votre maison m’est toujours la plus amie de Saïgon. » L’avocat fit une mine charmée, et sembla soulagé d’une inquiétude.

— « Je vous laisse donc, mon cher docteur. Vous savez que le Palais me réclame, comme toujours.

— Belles causes ?

— Divorces, naturellement. Nous vivons dans un temps très scandaleux… »

Il s’en allait, sa serviette serrée sous son bras, le pas sec, automatique, l’air austère et étroit. Raymond Mévil lui sourit dans le dos, avec une grimace.

Dans le salon, huit ou dix femmes caquetaient, élégantes et négligées dans leurs robes saïgonnaises qui ressemblaient à des peignoirs de luxe. Mévil, du seuil, les regarda toutes d’un coup d’œil, et traversa leur cercle avec aisance pour saluer d’abord l’hôtesse, une