Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/283

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continuait de frissonner par intervalles, et regardait peureusement vers le noir de la porte ouverte.

— « Qu’y a-t-il donc là-bas ? fit Torral en surprenant ce regard.

— Il n’y a rien.

— Alors ?

— Un reste d’étourdissement : j’ai des fantômes en tête, ce soir… »

Torral jura et prit un journal.

— « La dernière semaine du théâtre ; allons-y, ça vaudra mieux que de s’halluciner ici. Liseron joue, précisément.

— Moi, je rentre à bord, » dit Fierce.

Torral le railla.

— « On t’a défendu de sortir seul ? Le Petit-Duc est trop raide pour toi ? »

Fierce haussa les épaules et capitula. L’Opéra de Saïgon est à deux pas de la rue d’Espagne ; mais à cause de la boue, Mévil fît atteler.

— « Nous aurons la voiture pour un tour à Cholon, après, si le cœur nous en dit. »

Fierce ouvrit la bouche pour protester. Mais il vit les yeux ironiques de Torral, et se tut, pris d’une mauvaise honte.

Ils choisirent une baignoire : Fierce tenait à n’être pas vu de la salle. Mais ils n’évitèrent pas les yeux de Liseron : elle les reconnut, leur jeta des sourires. À l’entr’acte, elle eut un caprice, et leur fit passer un mot : s’ils étaient gentils, ils l’emmèneraient souper tout à l’heure, elle et une petite amie fraîche débar-