Aller au contenu

Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/330

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’échelle, — comme si c’était possible de sortir par cette trappe qu’il faut dix minutes pour dévisser ! On a déjà de l’eau jusqu’aux genoux. — Et le chef de chauffe, fou de sa responsabilité grotesquement vaine, a crié : « À vos postes ! » en abattant de son revolver un des fuyards, n’importe lequel. Après quoi, conscient du désastre, sûr de son impuissance, et terrifié de l’agonie atroce qu’il devine, il se tue lui-même de son second coup. — L’eau monte aux poitrines, et, soudain, noie les huit foyers. Des sifflements de locomotive couvrent alors tous les cris, cependant que de grands jets de vapeur et d’eau bouillante mordent furieusement dans le tas de chair accroché à l’échelle.

Un pugilat monstrueux : toutes ces bêtes humaines rendues comme d’un coup de baguette à la férocité ancienne s’assomment et se déchirent des dents et des ongles pour le droit dérisoire de mourir un échelon plus haut. L’eau couvre les premières têtes. Il y a des hommes à la nage ; d’autres, qui ne savent pas, meurent au fond, avec des soubresauts ; la surface bouillonne. Au dernier échelon, sous la trappe fermée, celui qui mourra le dernier s’accroche aux vis d’ouverture et les secoue désespérément ; mais dans sa terreur démente, le misérable se trompe, et il tourne les manettes à contre-sens.

Alors, comme l’eau gagne les derniers degrés, un grand quartier-maître à poils roux, dont les forces se décuplent dans sa fureur de vivre, se rue à coups de couteau dans l’échelle, et taille dans les mains cramponnées jusqu’à ce qu’il touche, lui aussi, la porte