Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/39

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vivre selon la bonne formule : minimum d’effort pour maximum de jouissance. Le respect humain ne les gênait pas, parce que chacun dans sa pensée s’estimait supérieur aux autres, à cause de sa peau différemment colorée, — et vivait comme s’il avait vécu seul. Pas de voyeurs : — licence universelle, et développement normal et logique de tous les instincts qu’une convention sociale aurait endigués, détournés ou supprimés. Bref, incroyable progrès de la civilisation, et possibilité unique pour tous les gens susdits, de parvenir, seuls sur terre, au bonheur. Ils n’ont pas pu, faute d’intelligence. Nous, vivant en marge d’eux, nous y arriverons, — nous y arrivons. Il ne s’agit que de faire à son gré, sans souci de rien ni de personne, — sans souci de ces chimères malfaisantes baptisées « bien » et « mal ». Celui-ci ne goûte que l’amour des femmes ? qu’il se forge un paradis de cuisses chaudes et de bouches humides, sans scrupules de fidélité ni de loyauté. — J’ai choisi pour mon lot la splendeur des nombres parfaits et des courbes transcendantes ? Eh bien, je fais des mathématiques, et mon boy intime se charge, sans que je m’en préoccupe, de remettre mes nerfs dans le calme qu’il faut. — Toi, je ne doute pas que tu n’aies, comme nous, ta passion légitime ou ta marotte sage, et je crois fermement que tu atteindras le bonheur absolu en t’y abandonnant sans restriction.

— C’est beau, dit Fierce, de croire fermement à quelque chose. »

Ils burent d’autres rainbows et allèrent au théâtre.