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Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/49

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Dans chaque voiture, il y avait un homme et une femme, — ou deux femmes, — ou parfois un homme et un garçonnet. — Et tous les couples, sans exception, se serraient plus étroitement qu’ils n’eussent fait avant le coucher du soleil, et prenaient mille sortes de libertés que la nuit ne voilait qu’aux trois quarts.

— « Jolie ville, dit Hélène Liseron. C’est révoltant.

— Mais point du tout, dit Fierce avec du mépris et de l’indulgence. C’est tout simplement naturel, et d’un bon exemple pour les hypocrites qui se prétendent pudibonds. D’ailleurs, ma chère, c’est un sot préjugé que celui du mystère en ce qui concerne l’amour et le sexe. Franchement, à vous avoir entrevue tout à l’heure, j’imaginais que vous ne le partagiez point. Moi-même et beaucoup de mes amis, sommes sans délicatesse exagérée là-dessus. Tenez, ne regardez pas là-bas, puisque ce qui s’y passe vous déplaît, et écoutez un conte qui est une histoire : il y a quelques années, le hasard et des goûts partagés me firent l’ami d’un certain Rodolphe Hafner, diplomate et homme parfait. Hafner avait alors une jolie maîtresse qu’il appréciait fort, et dont il aimait à me dire du bien. Il finit par m’en dire tellement que je fus amoureux d’elle à mon tour. Hafner s’en aperçut, n’en témoigna rien, et me joua le plus joli tour d’ami que j’ai jamais connu. Il m’invita certain soir à souper en tiers avec sa maîtresse. Puis, nous ayant tous deux convenablement grisés, il passa au fumoir, et se mit à jouer du piano. Il était passionné de musique, et je