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Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/52

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tous pareils et très serrés les uns contre les autres, poignées de poussière sous quoi dorment d’autres poignées de poussière, tout cela impossiblement antique et anonyme, suant l’oubli et le néant. — Pas de pierres, pas d’épitaphes. De très loin en très loin, une brique rompue, effritée, un caillou gris de lichen. Et toujours, jusqu’à l’infini, les tombes uniformes, — innombrables et monotones comme les vagues de la mer. — Innombrables : les morts asiatiques possèdent pour l’éternité leurs demeures funèbres ; on ne les en chasse pas, même après des siècles de siècles ; jamais les vieux ossements ne font place aux ossements jeunes : tous reposent en paix, côte à côte, et c’est très long de traverser leur domaine.

À mi-chemin, le saïs arrêta, à cause d’une lanterne éteinte. Depuis une heure ils étaient tous rigoureusement silencieux : la plaine mortuaire pesait sur eux comme un linceul sur des cadavres. — Torral secoua sa torpeur, et se pencha pour regarder au dehors. À cent pas, quelque chose de gris se profilait sur le ciel noir, — une bâtisse informe, solitaire au milieu des tombes, tombe elle-même : la sépulture de l’évêque d’Adran. Torral la nomma à voix haute, pour parler, et rompre d’un bruit humain l’intolérable silence. Mais on ne lui répondit pas, et le saïs fouetta ses chevaux. Ils allèrent encore très longtemps, et Fierce, presque assoupi, s’amusait à rêver qu’ils erraient dans un labyrinthe de l’Hadès, et que jamais, jamais ils ne rentreraient dans le monde des vivants…

Ils y rentrèrent tout d’un coup, comme un train qui