Page:Claude Farrère - Les civilisés, 1905.djvu/54

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tendresse. Ils arrivèrent après des embarras de foule au cabaret à la mode. Et ils soupèrent, s’excitant à être très gais.

Torral fit remarquer qu’il était une heure du malin ; et que c’était une équipée ridicule d’être à Cholon à cette heure-là, et de n’être pas ivres, — ivres d’alcool, d’opium ou d’autre chose. Fierce, immédiatement, choisit des liqueurs, fit des mélanges et se mit à boire, après avoir observé que le lieu n’était pas propice à l’ivresse de l’opium, qui exige le recueillement de la fumerie chaste et philosophique, pas plus qu’à l’ivresse de l’éther, qui se plaît aux alcôves, aux bouches amoureuses complices et aux draps de lit bordés par-dessus les têtes. — Il buvait froidement, d’un seul trait, après avoir vérifié la couleur des drogues en levant son verre au niveau des lampes ; puis il le reposait vide, et regardait les flacons comme un peintre regarde sa palette, la tête penchée à gauche et les sourcils froncés.

Torral, qui désapprouvait tous les excès de toutes les sortes, haussa les épaules et demanda du Champagne sec, excellente chose pour les folies immédiates et vite assagies. Mévil dit seulement deux mots à voix basse au boy-chef, qui s’en fut préparer pour Hélène une boisson glacée, douce et traîtresse, qu’on avalait comme de l’eau, sans se défier ; — et pour lui, Mévil, un grand verre d’une saleté brune et opaque, qui puait le poivre. Le médecin toussa deux fois en vidant ce verre-là, mais aussitôt après, il sembla gris de la plus jolie griserie du monde, aussi