Page:Claudel - Connaissance de l’est larousse 1920.djvu/128

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’abord un mince humus noir comme du charbon, puis du sable jaune, et enfin l’argile, rouge de soufre ou de cinabre. L’Averne devant nous s’ouvre et se déploie. Ce sol brûlé, ce ciel bas, cette amère clôture de volcans et de sapins, ne correspondent-ils pas à ce fond noir et nul sur lequel se lèvent les visions des songes ? Ainsi, avec une sagesse royale, l’antique shogun Ieyasu choisit ce lieu pour en superposer à l’ombre qu’il réintègre les ombrages, et, par la dissolution de son silence dans leur opacité, opérer la métamorphose du mort dans un dieu, selon l’association d’un temple à la sépulture.

La forêt des cryptomères est, au vrai, ce temple.

Hier, déjà, par ce sombre crépuscule, j’avais plusieurs fois coupé la double avenue de ces géants qui à vingt lieues de distance va chercher conduire, jusqu’au pont rouge, l’ambassadeur annuel qui porte les présents Impériaux à l’ancêtre. Mais ce matin, à l’heure où les premiers traits du soleil font paraître roses, dans le vent d’or qui les balaie, au-dessus de moi les bancs de sombre verdure, je pénètre dans la nef colossale qu’emplit délicieusement avec le froid de la nuit l’odeur pleine de la résine.

Le cryptomère ressort à la famille des pins, et les Japonais le nomment sengui. C’est un arbre très haut dont le fût, pur de toute inflexion