Page:Claudel - Connaissance de l’est larousse 1920.djvu/96

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vivons est enchâssée dans ce plateau de nacre, de l’inondation dont, chaque soir, je vais aux remparts surveiller le progrès, montent vers moi l’illusion et le prestige. C’est en vain que, de l’autre côté de la lagune, des barques viennent sans cesse nous apporter de la terre pour consolider notre talus qui s’émie. Quel fond aurais-je pu faire sur ces campagnes vertes et traversées de chemins, à qui l’agriculteur ne doutait pas de confier sa semence et son labeur ; alors qu’un jour étant remonté au mur je les vis remplacées par ces eaux couleur d’aurore ? un village seul, çà et là, émerge, un arbre noyé jusqu’aux branches, et à cet endroit où piochait une jaune équipe, je vois des barques pareilles à des cils. Mais je lis des menaces encore dans le soir trop beau ! Pas plus qu’un antique précepte contre la volupté, ce mur ruineux, d’où les misérables soldats qui en gardent les portes dénoncent la nuit en soufflant dans des trompettes de quatre coudées, ne défendra contre le soir et contre la propagation irrésistible de ces eaux couleur de roses et d’azur nos noires usines et les magasins gorgés de peaux de vaches et de suifs. Comme la vague qui arrive me déleste de mon poids et m’emporte en m’enlevant par les aisselles…

— Et je me revois à la plus haute fourche du