Page:Claudel - Le Pain dur, 1918.djvu/142

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LOUIS — Pourquoi donc t’en vas-tu là-bas ?
LUMÎR — Je vais vers ma patrie terrestre puisqu’il n’y en a point d’autres. Là où je ne sois plus une étrangère. Avec ceux-là qui sont d’une même race que moi. mes frères, dans une nuit profonde. Avec ceux-là qui sont dépouillés de ce qui était inutile et de tout excepté de l’amour que l’on peut se donner l’un à l’autre, mon peuple dans les ténèbres ! Cet amour dont tu n’as pas voulu, cette chose essentielle que je n’ai pu donner, mon âme. Voici que je la leur apporte, comme un prisonnier lié par tous les membres, qui cherche son frère dans la nuit avec la bouche, une figure humaine dans la nuit pour lui donner ce pain à manger qu’il tient entre les dents ! Si je vis, je ne puis être à tous. Mais si je meurs, je suis toute à tous et tous sont un en moi.
LOUIS — Ceux qui t’appellent sont fous.
LUMIR — C’est vrai, je les trouve fous aussi, pauvres frères, mais cela ne fait rien.