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Page:Clausewitz - Théorie de la grande guerre, I.djvu/72

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chap. x. — la ruse.

une apparence de vérité qu’on ne leur peut donner qu’au prix d’une dépense de temps et de force d’autant plus considérable que le but à atteindre doit sembler plus élevé. Or, comme en général on est avare de son temps et de ses forces à la guerre, on lésine à ce sujet, ce qui fait que la plupart des démonstrations stratégiques ne produisent pas l’effet qu’on en attend.

Ce n’est jamais sans danger, d’ailleurs, que, pour la forme et pendant un temps considérable, on se prive d’une partie importante de ses forces. Ce peut être, tout d’abord, sans aucun profit, et il peut se faire, en outre, que, pendant leur absence, ces forces fassent défaut sur un point important dans une circonstance imprévue. En d’autres termes, les mouvements ne se produisent pas sur le damier stratégique, avec la rapidité qui constitue l’élément de la ruse et de l’astuce.

La justesse de ces considérations agit incessamment sur l’esprit du général en chef et, dans la majorité des cas, le porte à renoncer aux moyens détournés, pour se consacrer exclusivement à l’action directe.

Nous concluons de ces réflexions que la pénétration et la justesse du jugement sont, dans le commandement supérieur, des qualités plus nécessaires que la ruse, bien que celle-ci ne gâte rien, lorsqu’elle ne s’exerce pas au détriment de qualités morales plus utiles, ce qui n’est, il faut le reconnaître, que trop fréquemment le cas.

La direction stratégique devient accessible à la ruse dans la mesure même de l’insuffisance des forces dont elle dispose, si bien que, en dernière instance, elle y a exclusivement recours, lorsque, ne pouvant plus rien tirer des moyens de la prudence, de la sagesse et de l’art, elle en arrive au degré d’épuisement où tout semble l’abandonner. C’est alors qu’on voit les grands généraux, laissant de côté tout calcul et tout intérêt