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Page:Cleland - La Fille de joie (éd. 1786).djvu/105

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partager ces plaiſirs ſuprêmes, à goûter ces tranſports délicieux, ces ſenſations trop vives, & trop ardentes, pour qu’on puiſſe y réſiſter long-tems. Heureuſement la nature a pourvu, par ces diſſolutions momentanées, à ce délire & à ce tremblement univerſel qui précédent & accompagnent le plaiſir, & l’épanchement de la liqueur divine, moment, où, comme le dit très-bien certain Philoſophe, l’on exiſte trop pour craindre de ceſſer d’être.

C’eſt dans de pareils paſſe-tems que nous gagnâmes l’heure du ſouper. Nous mangeâmes à proportion du fatiguant exercice que nous avions. Pour moi, j’étois ſi tranſportée de joie, en comparant mon bonheur actuel avec l’inſipide genre de vie que j’avois mené ci-devant, que je n’aurois pas cru l’avoir acheté trop cher, quand ſa durée n’eût été que d’un moment. La jouiſſance préſente étoit tout ce qui rempliſſoit ma petite cervelle. Enfin, la nature, qui avoit be-