Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/164

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« — Je sais cela, monsieur, interrompis-je ; mais je ne saurais vous aimer, sincèrement je ne le puis… De grâce, laissez-moi… Oui, je vous aimerai de tout mon cœur si vous voulez me laisser et vous en aller. »

C’était parler en l’air. Mes pleurs ne servirent qu’à l’enflammer davantage ; il m’étendit de nouveau sur le canapé et après avoir jeté mes jupes par-dessus la tête, le vilain fit, en soufflant et mugissant comme un taureau, des efforts qui se terminèrent par une libation involontaire. Ce bel exploit achevé, il me vomit, dans sa rage, toutes les horreurs imaginables, disant « qu’il ne me ferait pas l’honneur de s’occuper davantage de moi ; que la vieille maquerelle pouvait chercher un autre pigeon…, qu’il ne serait plus ainsi dupé par une bégueule de campagnarde… ; qu’il pensait bien que j’avais donné mon pucelage à quelque manant de mon pays et que je venais vendre mon petit lait à la ville ». J’écoutai toutes ces insultes avec d’autant plus d’indifférence que je me flattais de n’avoir rien à redouter de ses brutales entreprises.

Cependant, les pleurs qui coulaient de mes yeux, mes cheveux épais (mon bonnet était tombé dans la lutte), ma gorge nue, en un mot, le désordre attendrissant où j’étais, ranimèrent sa luxure. Il radoucit le ton et me dit que si je voulais me prêter de bonne grâce avant que la vieille revînt, il me rendrait son affection ; en même temps il se mit en devoir de m’embrasser et de porter la main à mon sein ; mais, la crainte et la haine me tenant lieu de force, je le repoussai avec une violence extrême, et m’étant saisie de la sonnette, je la secouai tant que la servante monta voir ce qu’il y avait, si le gentleman demandait quelque chose.

Quoique Martha fût accoutumée dès longtemps aux scènes de cette espèce, elle ne put me voir ensanglantée et chiffonnée comme je l’étais sans émotion. De sorte qu’elle