Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/270

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ces expédients pour surexciter la nature ; leur action, je le conçois, se rapproche de celle des mouches cantharides ; mais j’avais plutôt besoin d’une bride pour retenir mon tempérament que d’un éperon pour lui donner plus de feu.

Mme Cole, à qui cette aventure m’avait rendue plus chère que jamais, redoubla d’attention à mon égard et se fit un plaisir de me procurer bientôt une bonne pratique.

C’était un gentleman d’un certain âge, fort grave et très solennel, dont le plaisir consistait à peigner de belles tresses de cheveux. Comme j’avais une tête bien garnie de ce côté-là, il venait régulièrement tous les matins à ma toilette, pour satisfaire son goût. Il passait souvent plus d’une heure à cet exercice, sans se permettre jamais d’autres droits sur ma personne. Il avait encore une autre manie : c’était de me faire cadeau d’une douzaine de paire de gants de chevreau blanc, à la fois ; il s’amusait à les tirer de mes mains et à en mordre les bouts des doigts. Cela dura jusqu’à ce qu’un rhume, le forçant à garder la chambre, m’enleva cet insipide baguenaudier, et je n’entendis plus parler de lui.

Je vécus depuis dans la retraite, et j’avais toujours si bien su me tirer d’affaire que ma santé ni mon teint n’avaient encore souffert aucune altération. Louisa et Emily n’en usaient pas si modérément ; et quoiqu’elles fussent loin de se donner pour rien, elles poussaient néanmoins souvent la débauche à un excès qui prouve que quand une fille s’est une fois écartée de la modestie, il n’y a point de licence où elle ne se plonge alors volontairement. Je crois devoir rapporter ici deux aventures pleines de singularité, et je commencerai par l’une dont Emily fut l’héroïne.

Louisa et elle étaient allées un soir au bal, la première en costume de bergère, Emily en berger ; je les vis ainsi costumées avant leur départ, et l’on ne pouvait imaginer un plus joli garçon qu’Emily, blonde et bien faite comme elle était.