Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/285

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Nous prîmes donc un banc, pendant qu’Emily et son ami buvaient à notre bon voyage, car, comme ils l’observaient, nous étions favorisés d’un vent admirable. À la vérité, nous eûmes bientôt atteint le port de Cythère. Mais comme l’opération ne comporte pas beaucoup de variétés, je vous en épargnerai la description.

Je vous prie aussi de vouloir excuser le style figuré dont je me suis servie, quoiqu’il ne puisse être mieux employé que pour un sujet qui est si propre à la poésie qu’il semble être la poésie même, tant par les imaginations pittoresques qu’il enfante que par les plaisirs divins qu’il procure.

Nous passâmes le reste de la journée et une partie de la nuit dans mille plaisirs variés et nous fûmes reconduites en bonne santé chez Mme Cole par nos deux cavaliers, qui ne cessèrent de nous remercier de l’agréable compagnie que nous leur avions faite.

Ce fut ici la dernière aventure que j’eus avec Emily, qui, huit jours après, fut découverte par ses parents, lesquels, ayant perdu leur fils unique, furent si heureux de retrouver une fille qui leur restait qu’ils n’examinèrent seulement pas la conduite qu’elle avait tenue pendant une si longue absence.

Il ne fut pas aisé de remplacer cette perte, car, pour ne rien dire de sa beauté, elle était d’un caractère si liant et si aimable que si on ne l’estimait pas on ne pouvait se passer de l’aimer. Elle ne devait sa faiblesse qu’à une bonté trop grande et à une indolente facilité, qui la rendait l’esclave des premières impressions. Enfin elle avait assez de bon sens pour déférer à de sages conseils lorsqu’elle avait le bonheur d’en recevoir, comme elle le montra dans l’état de mariage qu’elle contracta peu de temps après avec un jeune homme de sa qualité, vivant avec lui aussi sagement et en