Page:Cleland - Mémoires de Fanny Hill, femme de plaisir, 1914.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ses affaires étaient tellement dérangées que, pour éviter l’impertinence de ses créanciers, il fut obligé de partir pour le continent. Lucy, abandonnée de tous côtés, après avoir disposé de sa vaisselle, de ses meubles et hardes pour vivre, fut poursuivie par ses créanciers et enfermée jusqu’au moment où elle fut mise en liberté par un acte d’insolvabilité.

« Après son élargissement, Lucy se vit contrainte de recommencer de nouveau son état dans un temps où elle aurait dû assurer son sort pour le reste de ses jours. Elle trouva cependant des amis qui l’aidèrent à établir un séminaire à l’extrémité de Bow-Street, où elle fit assez bien ses affaires pendant quelques mois, mais en peu de mois ses débauches la réduisirent au tombeau.

« Charlotte avait pris tant d’empire sur le beau Tracey qu’il faisait ce qu’elle lui commandait ; nous avons déjà observé qu’il était devenu, par la suite de ses débauches, un homme très faible pour les femmes ; aussi Charlotte le trompait notoirement ; il le voyait et il n’osait lui en faire de reproches. Quand elle se prenait d’inclination pour un homme dont elle voulait jouir, elle lui donnait rendez-vous à Shakespeare ou à la Rose, et là elle le régalait de la manière la plus somptueuse aux dépens de Tracey, car il lui avait donné crédit dans ces deux maisons ; mais lorsqu’il croyait que la dépense ne devait se monter qu’à quatre ou cinq livres sterling, il était étonné de la voir portée à trente ou quarante. Quand Charlotte manquait d’argent, elle avait un moyen ingénieux pour s’en procurer : elle s’habillait avec élégance et volupté, elle allait chez Tracey, elle prétendait être dans le plus grand embarras pour aller à la comédie ou aux autres spectacles, et quand, par des artifices bien connus aux femmes de cette caste, elle avait émouvé ses sens, elle ne demeurait pas un moment de plus