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notre planète

naissance, au risque d’interprétations faussées. Et tandis que les puissants ouvriers de l’assimilation se présentent pour nous remettre au droit chemin, un peuple de métaphysiciens prétend encore nous vouer à l’idolâtrie d’entités purement verbales, dont la seule vertu est de ne répondre à aucun de nos états de sensibilité.

Instituer gratuitement nos activités sensorielles en figures d’existences particulières, c’est offrir une explication qui aurait besoin, d’abord, d’être expliquée. Se présentent les miracles de l’abstraction réalisée. Tôt ou tard le masque tombe, le monde reste et l’entité s’évanouit. Aux lieu et place d’une fiction verbale, nous trouvons un complexe des réactions de l’énergie universelle en de permanentes activités dont la succession fait le monde — homme compris — tel qu’il est.

L’étoile, le soleil, la planète avec ses océans, ses gouffres, ses montagnes, avec ses pullulements de vies, sont des aspects du même événement, c’est-à-dire du même enchaînement de phénomènes qui se commandent sans arrêt et ne se peuvent rompre en aucun point, en aucun temps. Je suis Celui qui est, propose innocemment Jahveh. Je suis Ce qui est, manifeste le Cosmos en ses éclairs perceurs d’obscurités. Qu’est-ce donc qui distingue les deux formules ? Une attribution de personnalité dont la vérification d’expérience n’a jamais pu être fournie.

Pourquoi donc ne fut-ce pas moins qu’un crime de vouloir rapporter les phénomènes de vie organisée à l’enchaînement universel des phénomènes cosmiques ? Nos livres sacrés, de méconnaissance anthropocentrique, ont follement rapetissé l’univers aux proportions d’un jouet planétaire où deux créatures, sans état civil, auraient décidé, par étourderie, du malheureux destin de leur postérité. Qu’il ait été un âge où cela ait paru acceptable, il faut bien l’admettre. Mais lorsque, d’un déluge d’erreurs, nous avons pu sauver un catalogue de connaissances contrôlées, comme celles dont je viens de présenter sommairement quelques traits, n’est-ce pas folie de vouloir opposer des mythes de nescience millénaire, aux achèvements inébranlables de l’observation vérifiée ?

Les bûchers sont éteints. Échappés de la chambre de torture, nous pouvons aujourd’hui nous consacrer aux âpres labeurs de l’observation positive où nous ne nous heurtons plus