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La civilisation

se répandre au delà de nous-mêmes, selon les poussées naturelles de toutes correspondances d’évolutions coordonnées. Nous aurons ainsi réalisé l’accord suprême du Cosmos et de l’individu qui ne peut s’isoler subjectivement des complexités dont il est le produit, que pour y reprendre une place plus haute dans les incessantes rencontres des activités élémentaires d’un tout illimité. C’est que la vie crée des complexes de divergences momentanées que la mort, en ses mutations de renouvellement éternel, doit ramener aux conjugaisons supérieures dont le défaire et le refaire marquent les rythmes de l’universelle énergie.

La naissance, la vie, la mort sont des continuations, ai-je dit, des continuations de continuations sans commencement, sans fin, sans arrêt ni suspens. Comme le projectile au sortir du canon, l’organisme, lancé dans les complexités de forces irrésistibles, emporte nécessairement avec lui (sous forme d’impulsions héréditaires où l’atavisme et l’évolution ont leur part respective), des sommes de vitesses acquises diversement combinées, où la loi veut que l’égoïsme et l’altruisme s’opposent pour se concilier.

La métaphysique n’a su que figer cette divergence passagère dans l’enfer et le paradis, c’est-à-dire en d’autres vies que la vie, en des vies imaginatives qui sont une proclamation d’immobilité. Par les rythmes d’oppositions et d’accommodations qui sont la loi de l’univers, puisque l’évolution nous conduit à des manifestations de l’harmonie profonde de partout et de toujours, quel incomparable privilège est le nôtre de nous sentir les ouvriers d’un achèvement cosmique de nous-mêmes, où nous apportons le plus beau de notre effort, où nous réalisons le plus intense de nos aspirations.

Précisément parce qu’il s’agit du plus noble accomplissement de notre destinée, l’ignorance, d’imagination prime-sautière, se croit trop aisément quitte envers l’action par des prédications machinalement distribuées et reçues comme mots de passe aux providentiels guichets. La primitive culture ne va guère au delà d’une ingestion de mots, et la tentation de s’en contenter est trop grande pour que la moyenne des consciences obscures n’ait pas hâte d’en clamer sa satisfaction. J’ai écrit, il y a bien longtemps, que si les hommes qui font profession de christia-