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au soir de la pensée

de l’un à l’autre phénomène que notre recherche devra s’exercer. Pour ce qui est de l’apparition de la membrane cellulaire on peut se reporter aux indications de l’expérience qui consiste à mettre dans une solution de silicate de soude un petit cristal d’un sel métallique. Ce dernier ne tarde pas à se recouvrir d’une paroi semi-perméable de silicate métallique et, par suite des phénomènes d’osmose, on le voit croître, bourgeonner et réparer ses blessures. On reconnaît ainsi que le système inorganique peut manifester certaines propriétés qui semblaient spécifiques de la matière organisée. D’autres expériences de cette sorte pourraient être invoquées.

C’est le terme entitaire de « vie » qui a suscité dans notre entendement le phénomène imaginatif de dénominations purement subjectives pour l’exprimer. La métaphysique, permanente créatrice d’entités, se présente, avec son « principe vital », comme avec son principe « divin », pour tout expliquer. Arbitraire substitution du « surnaturel » (mot qui n’est qu’un aveu d’ignorance) à la nature positive des choses. Il nous faut un « Dieu » parce qu’il y a des phénomènes d’une évolution caractérisée par le mot de « vie », qui nous paraît sans explication, et que nous nous contenterons de mots jusqu’à l’observation des faits.

Aussi, ne fut-ce pas beaucoup moins qu’un crime de chercher l’origine de la vie dans les évolutions élémentaires. Sur le mouvement de la terre, l’Église a pu se démentir sans trop de dommages. Mais renoncer à détenir le secret de l’origine de la vie ne serait pas moins, pour elle, que de souscrire à l’abdication de la Divinité. L’exemple de Descartes, gardant secrètes et modifiant plus tard les pages où il avait pris parti pour Copernic, fait assez nettement voir les effets de cette sinistre disposition d’esprit à arrêter, à fausser les progrès de notre connaissance. Pascal lui-même n’a-t-il pas modifié secrètement un texte trop copernicien ?

Délivrés de ces terreurs, nous pouvons aujourd’hui nous consacrer, d’une résolution tranquille, au plein labeur de l’observation contrôlée. Mais les déviations ataviques du passé nous disposent-elles donc d’emblée à accepter les interprétations de positivité ? Est-il surprenant qu’à l’éternelle continuité des phénomènes notre tendance héréditaire soit d’opposer des classements verbaux, d’ailleurs nécessaires pour la compréhension