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notre planète

des mouvements de rapports, au risque d’une survivance d’entités métaphysiques barrant la route à toute synthèse d’observation positive ?

C’est le danger des analyses de disséquer, de couper, pour nous donner à recoudre, sous l’empire d’un état d’esprit faussement incliné. Quand nous en venons aux essais de synthèses, nous n’avons plus devant nous que des fragments dissociés d’enchaînements cosmiques prompts à s’ajuster par des vues imaginaires de « révolutions créatrices », comme dit Cuvier. La plupart de ceux qui passent outre aux grossiers « miracles » des cosmogonies n’osent se refuser aux « miracles » du vitalisme qui livre passage au courant des explications métaphysiquées.

Il n’y a pas de raisons pour ne pas fractionner le « miracle » total de la « création » en une succession continue de « sous-miracles ». La plupart des hommes de notre temps prennent grand soin d’ailleurs de ne pas scruter de trop près leur propre « opinion » sur le miracle du jour. Le doute, qui pourrait trop vite se renforcer, serait un commencement d’aveu. Aussi, « le miracle » des temps modernes, produit d’un état psychique ancestral, continue-t-il de s’étaler. La Sainte-Épine de Pascal et les baignades de Lourdes en sont d’assez notables manifestations. Demandez-vous si c’est « le miracle » qui fait le miraculé, ou le miraculé qui fait inconsciemment le « miracle ». Quelle que soit la réponse, il est trop certain que nombre de gens tiennent encore « le miracle » pour un fait d’une valeur égale à tout résultat d’expérience sans s’embarrasser, bien entendu, de le démontrer[1]. Il y faut, sans doute, beaucoup de bonne volonté. C’est le fonds qui manque le moins.

« Le miracle », comme on sait, n’est rien de moins que le renversement des lois du monde aux fins de manifester l’intervention de la Toute-Puissance même qui les a, dit-on, instituées. C’est ce que signifie apparemment le fait miraculeux du Bouddha et du Christ marchant sur les eaux. Aux ruines bouddhistes de Sanchi, dans l’Inde, on peut voir un bas-relief nous montrant une marche d’escalier flottant sur la mer. C’est la traduction du miracle en un pays où il n’était pas permis de figurer l’image

  1. Car « le miracle » lui-même prétend relever de l’observation, dont son office, d’ailleurs, est de clamer la « faillite. »